Etrangers malades : les expulsions vont bien, merci !

Publié par jfl-seronet le 21.03.2013
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Droit et socialobservatoire étrangers malades

"La santé des étrangers intéresse-t-elle encore le gouvernement ?" Telle était la question posée par l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) le 19 mars dernier lors d’une conférence de presse à l’Assemblée Nationale. Sujet (qui fâche) du jour : les expulsions d’étrangers gravement malades. Seronet y était.

La salle du 5ème bureau au Palais Bourbon est comble. C’est plutôt bon signe car le sujet du jour n’est pas des plus fédérateurs dans la classe politique française : l’expulsion des étrangers en situation irrégulière gravement malades. Et rares sont les élus, à ce jour, montés au créneau pour s’y opposer. Pas fédérateur… y compris à gauche. Car si les problèmes d’aujourd’hui sont la conséquence de la loi Besson, adoptée en juin 2011 sous Nicolas Sarkozy, leur augmentation et le refus d’y apporter des solutions sont, eux, de la responsabilité directe du gouvernement actuel et imputables à son action… A son inaction pour être plus précis. C’est ce message de colère et d’indignation que l’ODSE (1) a voulu porter. Dans le dossier remis à la presse, l’ODSE rappelle que la "loi Besson du 16 juin 2011 est en grande partie responsable de cette situation (…) Portée par la branche la plus droitière de l'UMP et motivée par l'obsession du contrôle migratoire, cette réforme a vidé de sa substance le droit au séjour des étrangers malades. Elle a aussi jeté le discrédit sur un dispositif pourtant stable et encadré".

Expulsions : les problèmes augmentent

Ça, c’est pour le passé récent. Qu’en est-il d’aujourd’hui ? Et bien, les problèmes augmentent et la situation s’aggrave. Depuis l’été 2012, "refus de renouvellement et procédures d'expulsion s'intensifient à un rythme sans précédent", note l’ODSE. Qu'un gouvernement de gauche mette autant de zèle à faire appliquer une réforme de la Droite populaire est pour le moins inattendu. C'est d'autant plus incompréhensible que le candidat Hollande considérait cette mesure comme "hypocrite" et s'était engagé à l'abroger après son arrivée au pouvoir. Ce qu’a d’ailleurs pointé le député socialiste Denys Robiliard, membre de la commission des Affaires sociales, qui accueillait cette conférence de presse à l’Assemblée. Le parlementaire qui souhaite qu’on revienne sur la loi Besson n’a pas eu d’autres choix que de citer François Hollande lorsqu’il était candidat et ce qu’il disait alors de la loi Besson dans une interview à Seronet en mars 2012 : "Quant au droit au séjour pour soins, la modification apportée par la loi sur l’immigration du 16 juin 2011 est hypocrite. Cette réforme laisse croire que le droit au séjour pour soins est maintenu, mais elle ne prend plus en compte l’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’origine. Si vous venez d’un pays très pauvre, mais qu’une clinique très chère donne de bons traitements au président et à ses amis, alors on considère que les soins existent dans votre pays et que l’on peut vous y renvoyer. On ne se demande plus si vous pouvez vraiment avoir accès à ces soins". Evidemment, le candidat d’alors s’engageait clairement à changer la loi.

Multiplication des mesures d’éloignement

Le problème, c’est que le changement sur cette question ne s’annonce pas. C’est déjà un problème, mais pire les cas d’expulsions d’étrangers gravement malades se multiplient et le ministère de la Santé ne fait pas son travail. Responsable régionale sur les questions de rétention administrative pour la CIMADE, Clémence Richard rappelle qu’on assiste depuis juin 2012 à "une multiplication des mesures d’éloignement" vers des "pays où l’offre de soins est loin d’être assurée". Ce sont quasiment 10 personnes gravement malades qui, au total, ont été expulsées ou sont en passe de l’être", note-t-elle. Le chiffre peut sembler faible… il est pourtant supérieur en quelques mois au nombre total de personnes dans la même situation expulsées ces dernières années. Clémence Richard précise aussi que la CIMADE, une des associations habilitées à intervenir dans des centres de rétention administrative (CRA), constate que des personnes vivant avec le VIH s’y trouvent désormais placées… ce n’était plus le cas depuis un bon moment. La responsable de la CIMADE mentionne aussi une nouvelle pratique : l’expulsion de personnes sur des "vols gouvernementaux dits "spéciaux", comme réponse administrative à l’extrême vulnérabilité psychologique et physique des personnes. Ce bilan est stupéfiant", note-t-elle alors même qu’il n’est que partiel… puisque la CIMADE n’intervient que dans un nombre limité de centres. Autrement dit, le nombre d’expulsions est sans doute bien supérieur.

Des accords… en chute libre

Derrière les chiffres, il y a des vies. C’est tout le sens du témoignage lu par Clémentine Bonifay-Besson (AIDES) lors de cette conférence de presse (voir encart ci-dessous). Un témoignage qui démontre parfaitement la folle mécanique de ce dispositif absurde dont le gouvernement actuel semble se satisfaire. Pour, Arnaud Veïsse, directeur du COMEDE (2), il y a de la "méconnaissance", des "idées fausses" et de la "confusion"… Et des chiffres, dont le flou est délibérément entretenu par les autorités. D’autres, collectés par les associations, frappent. "Selon des données d’observation produites par le COMEDE avec la CIMADE, Médecins du Monde et Arcat  dans seize préfectures, on observe en 2012 une diminution de 11 % des taux d’accord des préfectures pour les premières délivrances et les demandes de renouvellement de titres de séjour étrangers malades", explique Arnaud Veïsse. Il note aussi que Paris et les départements de la petite couronne (Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis, par exemple) ont une application plus restrictive de la loi de 2011 que d’autres départements. Il fait aussi le constat d’une démission du ministère de la Santé. "Nous avions eu connaissance de problèmes avec l’Agence régionale de santé (ARS) région Centre avant même que la loi Besson ne soit adoptée, rappelle Arnaud Veïsse. Les associations étaient intervenues auprès du cabinet du ministre de la Santé, Xavier Bertrand pour le saisir de certains cas. Le cabinet avait réagi en rappelant à l’ordre le directeur général de l’Agence régionale de santé en cause ; des avis médicaux [autorisant des reconduites] avaient été modifiés. Comme les problèmes se poursuivent nous faisons de même aujourd’hui avec le cabinet de Marisol Touraine [ministre de la Santé, ndlr], rien ne se passe… au prétexte que les ARS seraient indépendantes".

"Le ministère de la Santé ne fait pas son travail"

"Le ministère de la Santé ne fait pas son travail", tranche Bruno Spire. Le président de AIDES estime même que "la santé n’est pas une priorité dans le grand ministère [de Marisol Touraine, qui comprend les affaires sociales, la famille, le handicap, l’exclusion, les personnes âgées, la dépendance…]". Il rappelle que AIDES était très régulièrement reçu par le cabinet du précédent ministre, ce n’est plus le cas désormais. Il y voit une preuve du désintérêt de l’équipe actuelle sur le "point de vue des malades". "Cela donne un peu le contexte", tacle-t-il. Une autre inquiétude porte sur l’absence d’attention aux situations individuelles. "Avant le cabinet du ministre faisait le travail, revenait vers les agences régionales de santé, ce n’est plus le cas", explique Bruno Spire. Il s’inquiète également de la politique conduite qui privilégie la "maîtrise de flux migratoires" au lieu d’agir dans l’intérêt de la santé publique. Il rappelle d’ailleurs l’aveu d’impuissance d’un ancien membre du cabinet de Marisol Touraine qui, saisi d’une demande pour éviter des cas d’expulsions d’étrangers gravement malades, avait eu pour réponse : "Nous ne sommes QUE la Santé". "Je ne veux pas croire qu’il s’agisse d’incompétence", ironise le président de AIDES. Il y voit plutôt une "volonté délibérée" de laisser la gestion des flux migratoires prendre le pas sur la santé. Bruno Spire, à l’instar de tous les membres de l’ODSE, dénonce ce choix qui "tourne le dos aux promesses de la campagne de François Hollande".

Séjour pour soins : tous au Rapport !

Il n’est pas attendu comme le messie, mais un peu espéré tout de même. Lui, c’est le rapport des inspections générales de l’Administration et des Affaires sociales (IGA et IGAS) consacré au droit au séjour pour soins. On a d’autant plus besoin d’en connaître la teneur réelle que le gouvernement s’en sert actuellement d’alibi pour ne rien faire. Hélas, il semble, selon les premiers échos, que ce rapport soit un peu timoré quant à une réforme législative. Le député Denys Robiliard a annoncé lors de la conférence de presse que ce rapport était à la signature ministérielle et sa sortie du coup "imminente". Aucune information précise quant au contenu et donc aux recommandations. Des perspectives d’amélioration, l’ODSE en a comme l’a indiqué Caroline Izambert (Act Up-Paris) qui animait la conférence de presse. Dans son dossier, l’ODSE appelle à une "prise de conscience gouvernementale", mais préconise des actions rapides. "Il faut mettre fin sans délai aux refus de séjour, aux rétentions abusives et aux procédures d'expulsions à l'encontre d'étrangers gravement malades. Le ministère de la Santé doit réaffirmer avec la plus grande fermeté les directives et instructions ministérielles, afin de faire cesser les mauvaises pratiques de certains médecins des agences régionales de santé et de certaines préfectures. Nous demandons le respect des engagements de François Hollande. Un calendrier clair doit être proposé par le gouvernement, pour une réforme structurelle du droit au séjour des étrangers malades motivée par les impératifs de santé publique et la protection sanitaire des personnes. Cette réforme passe tout autant par le canal législatif que par la remise à plat des circuits administratifs et la mise en place d'outils statistiques visant à mettre fin à l'opacité des procédures. Fort de son expertise sur ce dossier et de sa connaissance des obstacles sur le terrain, l'ODSE propose au gouvernement une feuille de route claire et concrète pour sortir de cette impasse, sur le plan législatif, règlementaire et organisationnel".

(1) Membres de l’ODSE : Act Up-Paris, AFVS, AIDES, ARCAT, CATRED, CIMADE, COMEDE, COMEGAS, CRETEIL-SOLIDARITE, FASTI, FTCR, GISTI, LDH, MEDECINS DU MONDE, MEDECINS SANS FRONTIERES, MFPF, MRAP, PASTT, Association PRIMO LEVI, SIDA INFO SERVICE, SOLIDARITE SIDA.
(2) Le COMEDE (Comité médical pour les exilés). Il travaille à la promotion de la santé, de l’accès aux soins et de l’insertion des exilés.

Un témoignage… pour exemple
Pour bien comprendre ce que peut provoquer la loi Besson de 2011 et le refus du gouvernement actuel de tenir ses promesses concernant la situation des personnes étrangères gravement malades, rien de plus fort que le témoignage d’une personne directement concernée. Le voici :
"Je pensais être en sécurité en France et commençais une nouvelle vie. J’y étais presque arrivée. Je suis une femme d’origine congolaise, née en 1974. Je suis séropositive au VIH et à l’hépatite B. Célibataire, j’ai trois enfants au Congo, qui vivent chez leur père.
Ici, je suis hébergée chez mon frère qui est de nationalité française, dans son appartement de quatre pièces avec sa femme et ses deux enfants.
Je suis arrivée en France en juillet 2010 et j’ai déposé une demande d’asile, suite à des violences subies dans mon pays.
J’ai déposé une demande de régularisation au titre de ma santé en septembre 2011. On me l’a accordée. On m’a autorisée à travailler et un an après tout est remis en cause.
En janvier 2013, la préfecture a refusé le renouvellement de mon titre de séjour en se basant sur l’avis défavorable du médecin de l’Agence régionale de santé (ARS).
Je travaillais en CDI depuis juin 2012, 35 heures par semaine. Je subvenais seule à mes besoins et ne bénéficiais d’aucune aide.
Cette situation m’a obligée à démissionner, heureusement mon employeur m’a proposé un congé sans solde. En conséquence, je n’ai plus aucune ressource pour vivre. Lors de mon arrivée en France, il s’est avéré que je devais être immédiatement mise sous traitement. Depuis, je le prends tous les jours à heures fixes et  je n’ai pas d’effets secondaires.
Je sais que si je retourne au Congo, je n’aurais pas les moyens de payer mes traitements, mon médecin, le pharmacien et les examens médicaux dont j’ai besoin pour connaître l’évolution de ma pathologie. De plus, je suis toujours menacée dans mon pays et y retourner me mettrais en danger. Je suis accompagnée dans mes démarches par une assistante sociale, deux militants de AIDES et un avocat du COMEDE. Nous avons adressé un recours gracieux au Préfet afin qu’il demande au médecin de l’ARS de réexaminer ma situation.
Désormais, j’ai tout le temps peur d’être arrêtée par la police. Je ne sors plus. Je ne travaille plus. Ma vie est en train tourner au cauchemar ! Je ne sais pas quoi faire de mes journées. Je pense tout le temps à cette situation en me demandant pourquoi moi. Je ne dors plus la nuit, malgré le fait que je prenne un traitement pour dormir. Déjà suivie pour dépression, j’ai peur que ça s’aggrave. Je ne mange plus et je n’ai plus goût à rien maintenant".

Commentaires

Portrait de presse-citron

La question des étrangers en France atteints du VIH que vous soulevez dans deux articles est évidemment grave et met en exergue des existences brisées, une réalité affligeante dans tant de pays.
Toutefois, j’en ai assez, en ma qualité de citoyen français, de voir combien mon pays investit d’argent dans toutes sortes de causes, relayées par des activistes bien intentionnés mais parfois incohérents, suicidaires, alors que l’Etat est en faillite. Quelle est la facture payée par l’ensemble de la collectivité en matière d’accueil d’étrangers sur notre territoire s’y faisant soigner contre le vih ? Comme le disait un ancien Premier ministre, devons-nous accueillir toute la misère du monde ?

Je suis séropo, PAS fier de l’être du tout, conscient de mes responsabilités, mais je ne veux pas être l’otage de mouvements impliqués si férocement dans la lutte contre toutes les inégalités possibles et imaginables alors que je n’arrive pas à trouver du travail dans mon pays anéanti par tant de laxisme financiers, de dérives budgétaires, de désinvolture, etc.

J’en ai assez de ces mouvements bien pensants et souvent pseudo-intellectuels contribuant, en vérité, à saper la solidité de mon pays ! J’en ai assez de cette propension à faire payer à la collectivité toute entière les fautes, erreurs, irresponsabilités d’un peu tout le monde, voire du monde entier. J’estime d’ailleurs que tout séropo, quel que soit sa condition financière, devrait participer au financement des médicaments qu’il prend, ce qui contribuerait à rendre cette maladie, cette épidémie moins tolérable et moins banalisée.

On va me traiter de facho, de réac, mais je m’en balance car ce sont bien les soi-disant progressistes et défenseurs des droits de l’homme et des minorités à tout prix qui nous mettent dans la m… si souvent.

J’en ai assez de la bienveillance que le monde médical, actuellement, tout comme une grande partie des organisations GLBT (et tout gay n'est pas du tout forcé d'adhérer aux idéaux de la mouvance GLBT)  vouent au laxisme partout présent, au relâchement des précautions lors de pratiques intimes dans toutes sortes de lieux, à l’expansion de l’utilisation de drogues par toute une partie de la communauté gay, alors que 6.000 cas supplémentaires d’infection par le VIH sont recensés par année en France (officiellement, si je ne m’abuse).

Nous marchons sur la tête dans ce pays, et quel que soit sa couleur politique, j’approuve un gouvernement prenant des mesures sévères. Les peuples sont libres, souverains, maîtres de leur destin et ils doivent organiser eux-mêmes, à partir de leurs forces vives, la lutte contre les injustices dont ils souffrent.

Cessons de vouloir sauver le monde alors que notre pays est en train de crever financièrement, culturellement, moralement, en partie parce que certains se servent de leur lutte contre des injustices, desseins d’ailleurs louables, pour rogner davantage la cohésion nationale.

(Mon nom est Yann, j'habite dans le 92, en fait une grande ville, et comme je n'aime pas l'anonymat par lâcheté je donnerai mon nom si nécessaire à qui me répondra, mais que ce soit sur un ton courtois SVP)