La vérité ne semble pas toujours bonne à dire au peuple

Publié par Nico-Seronet le 07.10.2013
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Droit et socialPénalisation de la transmission du VIH

Les Suisses ont voté (22 septembre) la révision de la loi fédérale contre les maladies transmissibles de l’homme (dite loi sur les épidémies). Une partie de loi traitait de la pénalisation de la transmission. Résultat positif avec le nouveau texte puisque cela va restreindre les possibilités de pénaliser la transmission, mais le texte a néanmoins de réelles limites. Lecture critique sur le vote, la campagne en faveur du OUI et ce que dit vraiment la nouvelle loi. Par Nicolas Charpentier.

Le peuple suisse a voté le week-end dernier [22 septembre] la révision de la loi fédérale contre les maladies transmissibles de l’homme (appelée loi sur les épidémies). La Confédération jugeait la loi de 1970 insuffisante pour répondre aux nouveaux besoins afin de mieux lutter contre les épidémies, notamment avec l’émergence de nouvelles infections, rappelons nous du SRAS il y a quelques années. Cette loi sur les épidémies vient organiser les responsabilités et rôles entre la Confédération et les cantons. Elle vient régler certains points concernant la sécurité biologique (liée notamment aux produits dangereux contenant des agents pathogènes), la question des vaccinations, la gestion des données personnelles, etc. Ce sont donc près de deux Suisses sur trois qui ont voté en faveur de cette révision de la loi le dimanche 22 septembre 2013, dans un contexte particulier où des opposants, lobby anti-vaccins, battaient la contre-campagne. En effet, le lobby des anti-vaccins est très actif en Suisse, ce qui a accaparé le débat autour de cette votation.

La révision de cette loi était dans les tuyaux depuis plusieurs années, l’avant projet datant de 2007. Les acteurs suisses de la lutte contre le sida (Aide Suisse contre le Sida, Commission fédérale pour la santé sexuelle, etc.) ont été particulièrement actifs dans le plaidoyer pour une révision de la loi, y voyant une opportunité notamment en raison de procès qui avaient cours en Suisse depuis plusieurs années et qui condamnaient des personnes séropositives au VIH pour avoir exposé ou transmis le virus ; spécificité suisse que de punir même quand il n’y a pas eu de contamination (1). C’est en octobre 2012 que le Parlement suisse adoptait le texte dans sa version finale. Les associations suisses dont l’association nationale, l’Aide Suisse contre le Sida, se félicitaient alors de ce résultat et il n’était pas incongru de lire sur les sites internet associatifs concernant la révision qu’il s’agissait d’une "percée dans la lutte contre la criminalisation des personnes séropositives". Restait alors le passage devant le peuple qui devait entériner, ou non, un an plus tard, cette révision de la loi.

A l’été 2013 commence la campagne sur les votations du mois de septembre. Tout observateur de la lutte contre le sida aurait pu penser que le débat serait dès lors vif et du plus grand intérêt quant à la lutte contre les discriminations envers les personnes séropositives et mettrait sur la place publique ce que vivent les séropositifs aujourd’hui en 2013 et démontrerait l’injustice que représentent les condamnations pénales des dernières années. Une aubaine en somme pour les acteurs de la lutte contre le sida pour faire du plaidoyer sur ce thème de la pénalisation auprès de l’opinion publique. Que nenni, le débat se focalisera sur pro-vaccin et anti-vaccin, discours passionnels sur la peur de l’Etat fédéral qui voudrait forcer le peuple à se vacciner ! Bref, un débat bien pathétique, et qui, surtout, évitera d’aborder le point de révision quant à la restriction de ne punir les séropositifs que dans des cas extrêmes de transmission volontaire.

Sûrement une disposition tactique compréhensible dans un contexte suisse défavorable aux avancées sociales. Les dernières votations populaires ont vu consacrés : la restriction du droit d’asile, le rejet de la fin du service militaire obligatoire, l’assouplissement de la loi sur le travail avec le travail 24 heures/24 heures, le rejet d’un salaire minimum, etc. C’est pourquoi, pour que la nouvelle loi passe, il valait mieux un petit oubli dans la communication plutôt que de voir des années de lobby contre cette pénalisation outrancière des séropositifs partir en fumée. Le ton de campagne des pros "loi sur les épidémies" se voudra donc rassurant et s’attellera à déconstruire le discours des anti-vaccins plutôt que de promouvoir l’entier de la révision en question et de son bien fondé. A partir du mois d’août 2013, les associations de lutte contre le sida feront ainsi disparaître de leur discours la partie de la révision portant sur la dépénalisation partielle de la transmission du VIH.

Constatons donc ici une victoire politique en faveur de la non discrimination des personnes séropositives en Suisse car, dès le 1er janvier 2016 (date de mise en application de la loi), ne pourra être poursuivi pénalement que celui ou celle qui aura transmis le virus par "bassesse de caractère". Dès lors, au lendemain de la votation, les associations pouvaient titrer fièrement sur leurs médias internet, comme l’Aide Suisse contre le Sida : "La séropositivité n’est plus criminalisée". Nous pouvons même lire dans leur communiqué : "En acceptant la nouvelle loi sur les épidémies, le peuple suisse renforce la prévention du VIH : pour prévenir les infections, il est indispensable de pouvoir aborder la question du VIH et du sida en toute franchise". Mais peut-être n’est-ce qu’une blague de mauvais goût, quand on sait que le peuple a voté cette composante de la loi à son insu.

Quant au résultat, il reste à observer dans l’avenir l’interprétation qui sera faite de la nouvelle loi dans les jugements qui impliqueront des personnes séropositives en regard de ce que l’on considérera comme "bassesse de caractère". Il reste encore l’article 122 du code pénal concernant les lésions corporelles graves, invoqué dans la plupart des procès. Faute de débat public, et de parole des personnes concernées, sur la dépénalisation de l’exposition ou de la transmission du VIH, Il est à craindre que l’impact de cette révision ne soit que modeste. Gardons aussi à l’esprit, que dans un contexte où la transmission du VIH reste punissable sous certaines conditions, que se glisse insidieusement, y compris dans le discours de professionnels de santé ou du droit, un discours prônant, autant dire imposant, de dévoiler son statut sérologique, mettant à mal la liberté d’être et de dire, la possibilité d’être et de ne pas dire.

(1) : C’est également le cas au Canada.

Commentaires

Portrait de Felix77

Je ne suis pas contre, car comme chacun le sait, le silence tue ! Et finalement le silence, à mon avis, avorte la prévention. Car avec l'expérience, je réalise que les gens ne font pas assez attention à leur santé, par ignorance... Les gens ne peuvent pas réaliser et prendre conscience des danger du HIV, s'ils ne se savent pas cernés. Le silence empêche toutes communication, entretien la peur de l'inconnu, l'incompréhension. Bref, le silence n'est pas la solution idéale pour stopper l'épidémie.