Loi Besson : le match commence

Publié par jfl-seronet le 30.09.2010
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loi Bessonaccès aux soins
Les débats ont commencé (28 septembre) à l'Assemblée Nationale sur le projet de loi "Immigration, Intégration et Nationalité" défendu par Eric Besson. Les premiers échanges ont été animés d'autant que de nombreux points du texte suscitent des polémiques… même à droite. C'est notamment le cas des amendements du député UMP Thierry Mariani concernant les droits des personnes étrangères malades. Seronet y était.
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On passe les plats
Assemblée nationale. Mardi 28 septembre. 15 heures. C'est la loi du genre, un usage maison. Il y a toujours un député qui doit passer les plats avant le lancement des débats sur un projet de loi. Et rien de mieux que la séance de questions au gouvernement pour le faire. Cette fois, c'est le député UMP de Paris Claude Goasguen qui s'y colle. A lui, de poser à Eric Besson, ministre de l'Immigration et de l'identité nationale, sa question sur le projet de loi "Immigration,  intégration et nationalité".  Un texte dont Claude Goasguen affirme qu'il n'est "pas aussi dramatique et tragique" que la gauche le dit. "Quel est le sens et la signification politique de votre loi ?", demande Claude Goasguen, une vraie question piège. Pour Eric Besson, c'est simple. Le texte s'inscrit dans un cadre européen puisqu'il s'agit d'une transposition dans la loi française des directives européennes du pacte européen sur l’immigration et le droit d’asile. Voilà pour le cadre, mais l'occasion est trop belle pour l'ancien député socialiste qu'il a été de prendre à partie ses ex camarades. Eric Besson rappelle alors que c'est "François Mitterrand qui a créé les centres de rétention administrative (…) Lionel Jospin qui a étendu les chambres familiales dans les centres de rétention administrative (…) Paul Quilès qui a créé les zones d’attente". "Pas toi ! Pas ça !", lui renvoie un député socialiste, un ex compagnon probablement !

Un tour dans le  jardin
Pas mécontent de lui, Eric Besson. A la fin des questions au gouvernement, le ministre fait une sortie dans les jardins de l'Assemblée. Vu la masse des journalistes et des photographes qui l'entoure. C'est plutôt un bon calcul. C'est l'occasion pour lui de se livrer, avant les débats dans l'hémicycle, à une explication de texte.  C'est surtout l'occasion de rappeler que les socialistes espagnols, les socialistes portugais, les socialistes grecs et les travaillistes britanniques ont transposé ses mêmes directives européennes. Façon de dire que les socialistes français sont décidément en dehors du coup. Le problème pour le gouvernement, c'est que le texte ne se limite pas à une simple transposition des directives européennes, il affirme aussi les choix français en matière d'immigration. Et l'un d'eux fâche plus particulièrement : la déchéance de la nationalité pour les auteurs de crime contre les forces de l'ordre. Certains élus de la majorité doutent même de l'efficacité d'une telle mesure. "Si une mesure efficace est une mesure qui va concerner beaucoup de personnes. Permettez-moi de vous dire que je ne le souhaite pas, explique Eric Besson aux journalistes, au milieu des fleurs. Qu'est-ce que cela voudrait dire ?  Que des Français récemment naturalisés, juste après être devenus français, vont tuer un policier, un gendarme, un préfet ou un magistrat…C'est ça que vise la déchéance de la nationalité dont nous allons proposer l'extension, explique le ministre. Il nous reste à espérer que cela concernera très peu de personnes, mais on est dans une symbolique républicaine forte qu'il faut assumer. La loi doit, à la fois, prévenir et punir. Là, on est dans la punition."

La gauche est contre. A droite, certains aussi…
Interviewée par un journaliste, la députée UMP Nicole Ameline explique que le projet n'est pas très équilibré. Elle se démarque nettement sur la question de la déchéance nationale. Elle rappelle qu'elle aussi "aime la France" et qu'à ce titre elle se sent libre de pouvoir critiquer certaines propositions de sa majorité. Interrogée par Seronet sur les amendements concernant le droit au séjour pour soins et l'AME, la députée explique que "la France figure parmi les pays au monde qui sont les plus ouverts, les plus généreux. Le paradoxe de ce texte, c'est qu'à travers certaines dispositions, il donne le sentiment que nous serions désormais moins sur cette ligne. La question du séjour des personnes étrangères malades est un des points qui a suscité le plus d'amendements. On verra ce qui se passe lors des discussions. Je pense qu'il faut garder totalement, comme le font d'ailleurs d'autres pays européens, la générosité première parce que c'est quelque chose de tout a fait essentiel. Sur ces points, des progrès sont envisagés lors des débats et moi, je les soutiendrais. Je ne souhaite pas que la France renonce à sa capacité d'accueil et de générosité. On doit bien sûr vérifier que les pays d'origine n'offrent pas ses soins… mais là encore c'est une question d'équilibre, on peut avoir des exigences en matière de finances et même de maîtrise de l'immigration, mais on doit aussi veiller au respect des libertés, des valeurs républicaines qui font qu'on ne doit jamais refuser des soins à quelqu'un qui en a besoin, qu'il soit ou pas en une situation régulière. Cela fait partie de la tradition française et on verra lors des débats sous quelle forme cela peut être maintenu. Je tiens énormément à cet équilibre entre la sécurité et l'humanité." Député UMP, Etienne Pinte parle lui d'un "texte d'inspiration sécuritaire à tel point qu'on remet en cause des libertés fondamentales vis-à-vis de nos concitoyens d'origine étrangère en situation régulière ou irrégulière. Je ne peux pas supporter moi-même en tant qu'ancien étranger, je suis naturalisé, la remise en cause de la nationalité avec l'extension des causes de déchéance de la nationalité. Ce texte n'aura aucune efficacité et certaines des dispositions envisagées sont anticonstitutionnelles et pas mal sont inapplicables… Je ne pense que c'est avec un texte comme ça qu'on rassurera les Français… si c'est bien cela l'objectif."

Première séance
Mardi 28 septembre. Assemblée Nationale. 17 heures. Et voilà, c'est parti. Les débats commencent. C'est à Eric Besson, à la tribune, de vendre le texte du gouvernement. Il n'y a pas foule. A peine quinze députés, dont trois de gauche, sont sur les bancs. Ça sent le boycott des anciens camarades et pas le soutien des grands jours de la part des nouveaux amis : le minimum syndical en somme ! Cela n'empêche pas le ministre de dérouler son discours : immigration choisie, directives européennes, sanctions contre les employeurs qui font travailler au noir, etc. Bref, le grand classique. "Reconduire les étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine, ce n’est une honte ni pour la France ni pour l’Europe", avance Eric Besson. Entre les explications techniques, les sorties sur le mode "C'est pire ailleurs qu'en France", Eric Besson rappelle que : "Des amendements proposés par le Gouvernement, et adoptés en commission des lois, permettront de sanctionner (…) ceux qui représentent une charge déraisonnable pour notre système d’assistance sociale (…) La construction européenne n’implique pas un droit des personnes les plus démunies à s’établir là où le système d’assistance sociale est le plus généreux. L’Union européenne ne doit pas devenir un supermarché des protections sociales". La conséquence, on la connaît : des amendements pour limiter le droit au séjour pour soins et taxer les bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat.

Un rapporteur qui rapporte
Mardi 28 septembre. Assemblée Nationale. 17 heures 30. Député UMP, un des "spécialistes des questions d'immigration" comme le rappelle Eric Besson, Thierry Mariani est rapporteur du texte pour la Commission des lois. C'est à lui d'expliquer les options retenues par la majorité parlementaire. Concernant les droits des étrangers malades, Thierry Mariani explique : "Dans l’attente d’une réflexion d’ensemble sur ce thème, nous avons voulu aborder la question de l’aide médicale de l’Etat, qui donne une couverture médicale entièrement gratuite aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis plus de trois mois. En Europe, seuls l’Espagne et le Portugal offrent un accès aux soins aux clandestins dans des conditions aussi favorables. En ces temps de contrainte budgétaire, qu’il me soit simplement permis de préciser que les dépenses de l’aide médicale d’Etat ont explosé depuis deux ans. Elles ont augmenté de 13,3 % en 2009 et pour 2010, la tendance observée s’approche des 17 % de hausse, ce qui amènerait les dépenses d’AME à 600 millions d’euros par an ! Très modestement, je dirais même trop modestement, nous avons décidé la création d’un guichet unique, à la caisse primaire d’assurance maladie, pour mettre fin à une situation dans laquelle les étrangers en situation irrégulière pouvaient déposer un dossier de demande à quatre organismes différents, ce qui permettait toutes les fraudes possibles et en tout cas interdisait un quelconque contrôle efficace."

Une stratégie à la carte
La majorité a bien compris que l'amendement concernant le droit au séjour des étrangers malades passe mal. La défense de Thierry Mariani consiste à dire que concernant "la carte de séjour attribuée aux étrangers malades, [la majorité a] seulement décidé d’en revenir à une interprétation plus raisonnable de la notion d’accès aux soins dans le cadre de la délivrance de cette carte de séjour, interprétation qui avait cours jusqu’au 7 avril de cette année, date à laquelle le Conseil d’Etat a changé sa jurisprudence sur le sujet. En réalité, on en revient simplement à l’application de la loi de Monsieur Chevènement et à l’interprétation que vous-mêmes, chers collègues socialistes, en aviez faite pendant des années, rien de plus ! Il ne s’agit donc en aucun cas d’arrêter de soigner les étrangers atteints de grave maladie, mais seulement de ne pas systématiquement, en plus des soins, leur attribuer une carte de séjour avec tous les avantages afférents – accès à l’emploi, regroupement familial, etc.". La gauche proteste. La droite jubile.

A gauche toute !
Assemblée Nationale. Mardi 28 septembre. 18 heures. C'est toujours difficile pour l'opposition de se faire entendre… surtout lorsque la majorité est en force. Pas facile donc par la députée socialiste Sandrine Mazetier de défendre la motion de rejet préalable : il s'agit d'obtenir que le majorité des députés refusent de traiter du texte présenté. Evidemment, ça ne se produit jamais. Du coup, l'intervention prononcée à cette occasion permet pour une formation politique d'aligner ses arguments. Du côté du PS,  on note que c'est tout de même le sixième projet de loi sur le même sujet en huit ans et on y voit le signe de l'échec de la politique présidentielle en matière d'immigration. Du côté des Verts, Noël Mamère note, entre autres, que le projet gouvernemental traduit un "durcissement spectaculaire (…) de la politique sécuritaire et migratoire française". "Je pense en particulier à l’amendement introduit en commission par le rapporteur sur les étrangers malades, qui revient à supprimer le dispositif législatif de 1998, explique le député Verts. La régularisation pour raison médicale concerne actuellement les étrangers gravement malades qui ne peuvent bénéficier d'un traitement approprié dans leur pays d'origine. Cependant s'interroger sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé est dénué d'intérêt si l'on ne prend pas la peine de vérifier si l'étranger malade peut y avoir accès. Du fait de la globalisation, les traitements existent partout dans le monde, à de rares exceptions près, mais ils ne sont pas toujours accessibles (…) Si le traitement existe mais est inaccessible, les conséquences pour le malade sont les mêmes que s'il n'existait pas. Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades vivant en France au motif que le traitement requis par leur état de santé existe dans le pays de renvoi revient à jouer avec leur vie." Ça fait sourire Thierry Mariani qui parle de "caricature".

Dans la rue, on proteste
Place Edouard Herriot. A côté de l'Assemblée Nationale. 18 heures 30. Des tamtam résonnent. On danse, on chante, on crie des slogans. De loin cela a des allures de fête. De près, c'est avant tout une manifestation. Plusieurs associations (AIDES, le RAAC-sida, Arcat, Act Up-Paris, la Cimade, le Comède, etc.), des partis comme le Front de gauche ou NPA, des collectifs de sans-papiers ont appelé à manifester contre ce nouveau projet de loi. Quelque 300 personnes sont présentes sur la minuscule place, lieu protestataire par excellence. Comme à chaque fois, un cordon de CRS interdit aux manifestants de s'approcher de l'Assemblée. Rares sont les parlementaires qui sont venus aux côtés des manifestants. Deux députés Verts, François de Rugy et Anne-Marie Poursinoff, ont fait le déplacement."Les mesures concernant les étrangers malades comptent parmi celles qui sont le plus scandaleuses, explique la députée Verts. J'ai rencontré un étranger malade hier lors de la visite d'un centre de rétention au Mesnil-Amelot. Il a un gros problème rénal. Il a vu le médecin. Ce dernier n'était pas au courant que son retour dans son pays d'origine était programmé pour aujourd'hui. Je suis certaine que dans son pays, le Cameroun, il n'aura pas accès aux soins dont il a besoin comme c'était le cas en France. Ce renvoi met sa vie en danger. Au prétexte que cette personne coûterait cher à la nation, on fait le choix de renvoyer mourir chez lui. D'un point de vue strictement humanitaire, cela est incompréhensible." La suite des débats est prévue le 29 septembre.

Commentaires

Portrait de eris

Décidément, entre la circulaire contre les Roms et la nouvelle proposition de loi Besson, c'est bien la première fois depuis longtemps que j'ai honte d'être Français. Le seul "ami" président étranger à soutenir ouvertement notre président est... Berlusconi ! J'imagine que Poutine ne doit pas être loin derrière ...!! Quelles références pour notre pays ! :-( Dans ce long article, je retiens surtout cette phrase très appropriée de Noël Mamère : "...Cependant s'interroger sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé est dénué d'intérêt si l'on ne prend pas la peine de vérifier si l'étranger malade peut y avoir accès. Du fait de la globalisation, les traitements existent partout dans le monde, à de rares exceptions près, mais ils ne sont pas toujours accessibles (…) Si le traitement existe mais est inaccessible, les conséquences pour le malade sont les mêmes que s'il n'existait pas. Refuser le droit au séjour à des étrangers gravement malades vivant en France au motif que le traitement requis par leur état de santé existe dans le pays de renvoi revient à jouer avec leur vie." Ça fait sourire Thierry Mariani qui parle de "caricature"." Tout cela est très juste, et, ma foi, si ça fait sourire Thierry Mariani, qu'on le mandate pour une mission définitive pour Areva au Niger...! « Le but est le chemin lui-même » Soyons nous-mêmes, en toute circonstance.