Pénalisation : le Canada franchit la ligne !

Publié par jfl-seronet le 06.05.2010
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justice et VIH
Finalement, la Couronne canadienne a renoncé (22 avril 2010) à poursuivre Julien Z (1) dans le cadre d'une accusation criminelle pour "agression sexuelle grave". Thomas, un ancien partenaire, pourtant séronégatif, avait engagé des poursuites contre lui suite à des relations sexuelles. Pour le Réseau juridique canadien VIH/sida, cette affaire est le signe qu'il faut établir de nouvelles règles pour "éviter les poursuites non fondées et injustes".
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En février 2009, Julien Z. est accusé d'"agression sexuelle grave" après avoir été mis en cause par un ancien partenaire sexuel : Thomas (1). Celui-ci affirme qu'ils ont eu des rapports sexuels oraux sans que Julien Z. ait fait état de sa séropositivité. Des tests sanguins sont pratiqués : Thomas, le plaignant, est séronégatif. Peu importante pour la justice canadienne puisque le fait de ne pas faire état de sa séropositivité avant un acte sexuel est, en soi, un délit. Finalement, après enquête, la couronne (l'équivalent du parquet en France) décide d'arrêter les procédures pénales contre Julien Z.

Très engagé contre la pénalisation de la transmission et ses excès, le Réseau juridique canadien VIH/sida s'est réjoui de cette annonce. "Nous nous réjouissons de l'annonce du procureur (…), explique le Réseau dans un communiqué (22 avril), mais il faut aller plus loin. Cette affaire n'aurait jamais dû être intentée (…) Il n'y a jamais eu de base solide permettant de croire qu'il y avait eu un risque de transmission. C'est une réaction exagérée et malavisée que de recourir à certaines des accusations les plus sérieuses du Code criminel alors qu'aucun préjudice n'a été subi et que le risque de transmission du VIH était tout au plus minuscule".

Concrètement, cette affaire (loin d'être isolée) découle d'une décision de la Cour suprême du Canada en 1998 qui avait statué qu'une "personne vivant avec le VIH a la responsabilité de dévoiler sa séropositivité à un(e) partenaire sexuel(le) avant un acte (…) s'il y a un risque important." En fait, tout découle de l'interprétation faite par la couronne et les tribunaux de ce qui serait un "risque important". Selon les instances, on ne place pas le curseur au même endroit et manifestement assez bas, d'où des poursuites de plus en plus fréquentes, même lorsque le plaignant est séronégatif.

"Depuis une décennie, on observe un hausse troublante de la fréquence et de la sévérité des accusations criminelles contre des individus séropositifs au VIH pour la non-divulgation de leur état à un(e) partenaire (sexuel(le), dénonce le Réseau juridique canadien VIH/sida. Des procureurs ont déposé des accusations graves même dans des circonstances où le risque de transmission du VIH, déjà statistiquement faible dans certains rapports sexuels uniques, avait été réduit par l'adoption responsable de précautions du sécurisexe [safer sexe]". Cette dérive fait évidemment débat. De plus en plus nombreux sont les personnes touchées, les militants, les médecins, les avocats et les juristes qui contestent le "recours croissant au droit pénal" en matière de non-divulgation de la séropositivité.

"Cette affaire est un exemple de plus qui illustre pourquoi le procureur général de la province devrait collaborer avec des organismes communautaires [associations de lutte contre le sida au Canada] afin d'élaborer des lignes directrices claires à l'intention des procureurs et de la police, concernant les situations où des accusations criminelles sont justifiées et celles où elles ne le sont pas", explique Richard Elliott, directeur général du Réseau juridique canadien VIH/sida.
"De telles lignes directrices devraient être éclairées par les données sur les risques réels de transmission. Elles devraient aussi être développées en tenant compte des conséquences néfastes d'un recours malavisé au droit pénal, dans la vie d'individus ainsi qu'au chapitre de la santé publique (…) en alimentant des idées erronées, la peur et la stigmatisation".
Plus d'infos sur http://www.aidslaw.ca
(1) les prénoms ont été changés.

Illustation : Yul Studio