PrimInject : une étude sur les premières injections

Publié par jfl-seronet le 15.01.2011
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Titulaire d’une thèse franco-canadienne en promotion de la santé, Anne Guichard est chargée d’expertise à la Direction des affaires scientifiques de l’Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes) où elle travaille sur les risques infectieux liés aux usages de substances psychoactives. Elle a participé à l’expertise collective de l’Inserm sur la réduction des risques. Anne Guichard est responsable du projet PrimInject, une étude scientifique concernant les personnes qui s'injectent pour la première fois. Elle explique à Seronet ce qu'est cette enquête. Interview.
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Qui est à l'initiative du projet PrimInject ? Quel est son objectif et dans quel contexte se situe t-il ?

C’est l’Inpes qui a est à l’origine du projet. L’enquête s’inscrit dans un double contexte. Tout d’abord celui d’une épidémie toujours inquiétante pour le VHC (hépatite C). D’après les dernières données de prévalence de l’InVS [Institut national de veille sanitaire] qui portent sur la situation en 2004, près de 221 000 personnes présentaient une infection chronique par le VHC. On sait que les injecteurs de drogues sont fortement touchés. A ce contexte épidémiologique s’ajoute une évolution des pratiques d’injection au cours des dernières années marquée notamment par une baisse de l’âge d’initiation et une dissociation plus nette qu’auparavant entre injection et consommation d’opiacés au bénéfice d’une augmentation de l’injection de stimulants (cocaïne, amphétamine). Avant de se lancer dans l’élaboration d’outils de prévention et/ou de réduction des risques liés à l’initiation à l’injection, il nous a paru essentiel de mieux connaître les personnes et les populations qui s’engagent dans l’injection aujourd’hui et de mieux comprendre les circonstances de ces premières injections. Un des premiers objectifs est justement de s’intéresser à la diversité des modes d’entrée dans cette pratique, aux profils de ces nouveaux injecteurs, des produits injectés et des sous-cultures de consommation associées. Pour mener à bien le projet, nous avons constitué un comité de pilotage qui rassemble non seulement des chercheurs, mais aussi des associatifs représentants les usagers et les professionnels de la prise en charge (ANITEA, AFR, ASUD, Keep Smiling).

Pour quelles raisons, mettez-vous plus particulièrement l'accent sur la première injection ?

Le constat de départ était qu’il y avait très peu d’études en France portant sur la première injection et plus généralement sur les débuts de l’injection. Les études existantes concernent le plus souvent les personnes qui fréquentent les dispositifs de soin ou de réduction des risques, un public a priori plus "précaire" et/ou dans un usage problématique. Il s’agit donc de s’intéresser aux personnes qui débutent et qui ne sont peut-être pas touchées par ces enquêtes, quelle que soit leur situation sociale et leur mode de consommation. Il y avait donc d’abord un manque de connaissances à combler. Mais si on se focalise sur ce sujet précis, c’est aussi parce que l’entrée dans l’injection est une période très spécifique. Des études menées à l’étranger ont montré que la période d’initiation était particulièrement à risque, du fait du manque d’expérience et d’informations, des conditions d’hygiène, etc. Les infections au VHC peuvent survenir très tôt dans les parcours d’injecteurs, parfois dès les premières injections. D’autres études ont, en outre, montré que la façon dont une personne est initiée ou s’initie tend à influencer sa pratique et ses prises de risque ultérieures. Si un certain nombre des contaminations surviennent à ce moment, il est donc important d’avoir une idée plus précise des leviers que l’on pourrait actionner pour améliorer la situation.

On peut trouver très tardif le lancement d'une telle recherche sur les pratiques et contextes liés à l'entrée dans l'injection alors que la question de la transmission de l'hépatite C et du VIH chez les personnes injectrices est connue depuis longtemps.
Comment l'expliquez-vous ?


Peut-être est-ce parce que, dans un premier temps, les chercheurs et les acteurs de la réduction des risques se sont focalisés sur les problématiques les plus urgentes, ce qui a débouché entre autre sur l’acceptation et la mise en place de l’échange de seringues. Ces programmes ont montré leur efficacité pour limiter les risques infectieux, mais ils ne les ont pas fait disparaître ; et la baisse de la transmission du VHC, virus plus résistant et plus contaminant, a été plus limitée que celle de la transmission du VIH. De nouvelles pistes de réflexion et d’action s’imposent. L’idée est que d’autres stratégies, en complément des stratégies de réduction des risques "classiques", pourraient être explorées, par exemple celles visant à promouvoir un changement de mode d’administration ou visant à prévenir le passage à l’injection.  La difficulté de monter un tel projet d’étude est aussi bien réelle. D’abord parce qu’il s’agit d’un sujet sensible politiquement qui n’est pas toujours bien resitué dans sa composante de réduction des risques. Pour les usagers, il s’agit aussi souvent d’une pratique dont il n’est pas facile de parler car fortement ancrée dans la vie privée, voire dans la vie intime. Ensuite, le public auquel devrait s’adresser en priorité l’enquête est un public particulièrement difficile à "recruter" (jeunes souvent mineurs, pas en contact avec les structures "classiques" de réduction des risques ou de prise en charge, etc.). Enfin, peut-être aussi parce qu’il est particulièrement délicat d’agir autour d’une période et de pratiques dont on ne sait pas a priori comment elles vont évoluer. Néanmoins, des programmes travaillant plus sur les contextes psychosociaux de l’entrée dans l’injection, comme Break the cycle en Grande-Bretagne, pourraient être des voies d’avenir.

Comment va se dérouler cette enquête d'un point de vue technique et avec quel calendrier ?

L’enquête est en ligne depuis le 1ier octobre et ce jusqu’au 31 décembre sur le site shoot-premierefois.com. Les personnes répondent à un questionnaire et, c’est une des originalités du projet, si ils le souhaitent, ils peuvent approfondir le sujet en participant à un chat avec un chercheur de l’équipe, ce qui permettra aux personnes de conserver totalement l’anonymat puisqu’elles pourront choisir un pseudonyme. Les données seront exploitées à partir de janvier 2011 et nous espérons pouvoir sortir les premiers résultats en milieu d’année prochaine.

Quelle exploitation concrète comptez-vous faire des résultats ?

Dès le début, le projet a associé les acteurs du monde associatif et les professionnels de la prise en charge. Nous ne souhaitons donc pas que cette collaboration s’arrête avec la publication des résultats ! Les professionnels, associations de réduction des risques et d’usagers seront associés au travail qui suivra la réalisation de l’enquête. Suivant ces résultats, il s’agira de se pencher par exemple sur la pertinence de développer des interventions en direction des nouveaux injecteurs ou plutôt des injecteurs plus expérimentés susceptibles de jouer un rôle dans l’initiation des plus jeunes, d’éditer des brochures, d’adapter des programmes développés à l’étranger, etc.

Même si ce n'est pas son objet, pensez-vous que l'enquête PrimInject donnera des informations, des pistes de réflexion dans le débat actuel sur la réduction des risques et notamment sur l'intérêt de l'ouverture de salles de consommation supervisée ?

Le projet était lancé avant que le débat sur les salles de consommations émerge sur la scène politique et ne soit repris dans les médias grands publics. Les connaissances produites par l’enquête profiteront, j’espère, à la réflexion sur la réduction des risques dans son ensemble. Si l’Inpes réfléchit à d’autres stratégies, cela ne veut pas dire qu’elles sont en concurrence avec les projets portés par les associations, que ce soit les programmes d’éducation aux risques liés à l’injection, les salles de consommations, ou autres. Au vu des enjeux posés par l’épidémie d’hépatite C, je ne crois pas qu’il y ait une solution unique. La complémentarité des approches était d’ailleurs l’objet du séminaire de travail que nous avons organisé le 15 mars dernier et qui portait justement sur l’articulation entre prévention, éducation et réduction des risques.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie
L'enquête est accessible jusqu' 28 février 2011 sur http://shoot-premierefois.com