Santé sexuelle : le plaisir se découvre à Lyon !

Publié par jfl-seronet le 09.05.2013
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Sexualitéorgasm'week 2013

Du 18 au 26 mai 2013, AIDES organise "l’Orgasm’Week" à Lyon : une semaine festive sur le thème des plaisirs et de la santé sexuelle. Trois militants de l’association, Vincent Boujon, Sylvie Rouby et Vincent Leclercq expliquent les tenants et aboutissants de cette "semaine orgasmique" qui va faire rugir (rougir ?) la capitale des Gaules ! Interview.

L’Orgasm’Week propose un cadre pour aborder "librement" le bien-être sexuel, les plaisirs et déplaisirs. Bref, un événement exceptionnel pour permettre aux gays de parler cul… Ce qui peut paraître paradoxal alors qu’on a souvent une image des gays parlant ouvertement, facilement de leur sexualité. Du coup, est-ce le signe que parler sexe et santé sexuelle n’est pas si simple que ça chez les gays ? Qu’il y a trop peu d’endroits pour le faire ? Et qu’est-ce que vous attendez de cet événement de ce point de vue ?

Parler de sexe de manière générale est, en effet, chose courante chez les gays. Pour autant ce n’est pas toujours évident d’aborder tous les aspects de sa sexualité. À l’image du sexe sans latex, de la prise de produits pour baiser, de sa sexualité quand on est séropo, de comment faire son lavement avant une sodo ou d’éviter d’avoir mal quand on se fait prendre. Il n’est pas non plus facile de discuter de soucis de santé que l’on peut rencontrer dans sa vie sexuelle comme les infections sexuellement transmissibles (IST) ou le VIH qui touchent fortement les hommes qui baisent avec d’autres hommes. Jouir dans sa vie sexuelle implique, alors, d’être en capacité de parler librement de ce qui va et ce qui ne va pas. Trop de personnes éprouvent encore, par exemple, de la gêne à confier à leurs potes comme à leur médecin qu’ils ont des verrues, boutons ou autre choses bizarres au niveau des parties génitales qui pourraient laisser penser à une IST. Si les gays parlent plus facilement de sexualité, il y a encore des tabous qui sont un frein au plaisir et à l’épanouissement sexuel. Au travers de cette semaine, nous voulons discuter de tout ce qui participe à notre bien-être en matière de cul et tout ce qui peut, au contraire, constituer un blocage.

Dans la présentation qui est faite de l’Orgasm’Week, il est beaucoup question de dépistage. Pourquoi insistez-vous autant sur le dépistage ? Et là encore qu’attendez-vous de cette offre de dépistage imaginée dans un "cadre festif, décalé et ludique" ?

Parler de dépistage a un double objectif pour nous. D’une part, il s’agit du premier levier dont on dispose pour impacter l’épidémie à VIH. Car connaître son statut permet de prendre soin de sa santé, d’agir sur ses pratiques et de faire s’effondrer le risque de transmission à ses partenaires. D’autre part, lorsque nous proposons un dépistage, c’est aussi une opportunité de discuter de santé sexuelle plus largement au travers de discussions sans jugement, ni tabou. Parfois nous rencontrons des mecs qui n’ont jamais eu la possibilité de parler du bien-être de leur trou-de-balle avec quelqu’un auparavant. Et pourtant il y en a des choses à dire à ce niveau-là, mais les occasions d’en parler dans un cadre convivial et qui met en confiance sont malheureusement rares.

Cette manifestation mobilise de nombreux partenaires dont certains qui évoluent principalement dans un champ culturel ou festif. A-t-il été facile de monter ces partenariats ? Selon vous, qu’est-ce qui les intéresse, les séduit dans ce projet ?

Il y a eu un grand engouement de la part des partenaires que nous avons sollicités. Le côté décalé leur a plu dès le départ et l’idée de sortir le cul du placard en l’abordant sous plusieurs angles a semblé correspondre à leur vision de la place de la sexualité dans notre société. Il faut aussi souligner qu’ils nous ont été d’une grande aide : au-delà de leur participation aux différents événements, certains ont mis à notre disposition leur réseau et leurs compétences en événementiel pour organiser cette semaine. Notamment le Lavoir Public, une association culturelle qui propose une programmation originale tout au long de l’année ou encore "Prends-moi", le magasine des sexualités gays, régulièrement représenté lors de soirées festives.

L’Orgasm’Week, c’est un événement sur la sexualité gay organisé par une association de lutte contre le sida avec, vu de l’extérieur, sur les deux points, des idées reçues, des a priori... Qu’est-ce cela a comme avantages que AIDES créé un tel événement et comme inconvénients ?

Nous sommes une association de lutte contre le sida, l’Orgasm’Week doit être aussi l’occasion de faire connaître notre action de proximité auprès de la communauté gay. Pour autant cet événement ne sera pas centré sur le VIH. AIDES a démontré sa légitimé et ses capacités à intervenir sur le champ de la santé sexuelle au-delà du sida. Car nous n’arriverons pas à faire bouger les tendances sur le VIH si nous ne voyons pas la santé sexuelle comme ayant de multiples déterminants. De plus, le fait que nous-mêmes, militants issus des communautés, sommes concernés par les mêmes enjeux autour de la santé sexuelle est de nature à faire tomber les blocages. Nous abordons, en effet, les discussions avec les personnes comme du partage entre pairs plus que comme une démarche d’éducation. Si toi aussi tu kiffes le jus, peut-être que le militant de AIDES en face de toi partagera avec toi comment il gère son rapport au risque alors que lui aussi fantasme sur le sperme.

Un débat de l’Orgasm’Week a pour thème "Comment jouirons-nous dans 20 ans ?". On a envie de vous poser une question un peu différente : selon vous, à quelles conditions les gays pourront-ils bien jouir dans 20 ans ?

De notre point de vue, les conditions de l’épanouissement sexuel chez les gays sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, qu’on arrête de nous soûler sur notre identité sexuelle et de nous dire à quelle place nous avons le droit dans la société. Lorsque dès le plus jeune âge les enfants auront intégrés que Charles et Mohammed ou Christiane et Mireille peuvent se dire "Oui" devant Madame le Maire sans que personne n’ait à questionner la légitimité ou la moralité d’un tel acte, cela modifiera profondément le bien-être des LGBT. Bien-être qui influence la capacité des personnes à prendre soin d’elles et, pour ce qui nous intéresse, à se protéger lors de leurs rapports sexuels. Ces batailles pour notre acceptation sociale nous les gagnerons grâce à une communauté LGBT soudée et mobilisée sur la durée.

Ensuite, il faut être clair, les LGBT sont injustement touchés par des problématiques de santé sexuelle par rapport aux hétéros : plus d’IST circulent, le rapport au risque de contracter le VIH est injustement élevé chez les hommes gays et les trans. On constate aussi une plus grande proportion de LGBT qui fument ou consomment des drogues. L’approche de santé sexuelle généraliste est insuffisante pour répondre à ces besoins spécifiques dont nos pratiques et nos identités sexuelles sont les dénominateurs communs. Nous avons régulièrement des témoignages de personnes qui vivent leur passage dans un centre de dépistage comme une garde à vue à la brigade des mœurs, de visites chez un proctologue qui conçoit difficilement qu’on puisse se faire sodomiser ou de gynécologues lesbophobes. Que dire des personnes trans pour qui prendre soin de leur santé relève du parcours du combattant ! Des offres de santé sexuelle de proximité, accessible à tous et qui s’adressent directement aux besoins des LGBT, dans un cadre non-jugeant et respectueux de notre identité, de notre intégrité et de nos corps seront donc essentielles pour que nous puissions prendre soin de notre santé et jouir de notre sexualité.

Aujourd’hui, il y a toujours autant de contaminations au VIH chez les hommes gays malgré des outils tels que le préservatif, que tout le monde connaît. Et il y en a ras-le-bol que les "pères la morale" de notre communauté tombent dans l’abîme de la culpabilisation. La santé communautaire nous invite à toujours prendre en compte les évolutions du contexte et du rapport au risque des personnes dans la pratique de leur sexualité. Oui, il y a une augmentation des prises de risque chez les gays ! Oui, les jeunes gays n’ont pas le même vécu du rapport au VIH que les générations antérieures ! Soit. Maintenant que fait-on ? Nous voulons que l’offre de prévention s’étoffe et se diversifie en réponse à ces constats. Nous voulons élaborer avec les personnes concernées, les médecins et les chercheurs des solutions nouvelles. Nous voulons que celles et ceux qui veulent se protéger mais qui ont du mal n’aient plus à dépendre de l’arbitrage "Je mets une capote ou je n’en mets pas ?" qui intervient durant l’instant sexuel. Nous voulons que l’acte de dépistage pour le VIH et les IST soit simplifié. Chacun doit avoir le choix de faire un test seul, avec son meilleur pote ou dans une structure avec des acteurs de santé. Et ce afin que les personnes contaminées le découvrent tôt et soient en mesure d’agir sur leurs pratiques pour réduire le risque de transmission.

Enfin nous voulons être tenus informés des dernières découvertes en matière de prévention et de prise en charge médicale qui nous concernent. Il est inadmissible aujourd’hui que des personnes suivies à l’hôpital n’aient pas d’information ou se voient délivrer une information négationniste sur l’utilisation du traitement en prévention sous prétexte que leur médecin "n’y croit pas".

Egalité sociale et devant la loi. Approches spécifiques de santé. Diversification de la prévention et partage de l’information. Voilà les conditions qui nous semblent essentielles pour bien jouir de notre sexualité dans 20 ans !