Travail du sexe : les députés renforcent les droits des victimes

Publié par jfl-seronet le 24.11.2013
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Les députés ont renforcé les droits des victimes lors de l'examen de la proposition de loi contre la prostitution en commission (19 novembre), selon une source parlementaire, citée par l’AFP. Les parlementaires n'ont cependant pas touché à la pénalisation du client, une mesure pourtant controversée, qui pourrait être amendée lors de l'examen du texte en séance les 27 et/ou 29 novembre.

La proposition de loi déposée par les députés socialistes a été adoptée en commission à une large majorité par la commission spéciale chargée d'examiner la proposition, seul le député écologiste Sergio Coronado votant contre. Cette proposition de loi prévoit une contravention de 1 500 euros pour sanctionner le client, un "stage de sensibilisation" comme "alternative aux poursuites", ainsi que la suppression du délit de racolage public. La commission a adopté plusieurs amendements pour mieux protéger les victimes de proxénétisme en leur offrant la possibilité de témoigner sans que leur identité apparaisse dans la procédure ou en faisant usage d'une identité d'emprunt. Les députés ont aussi précisé "le parcours de sortie" de la prostitution (diverses mesures d'accompagnement social et professionnel) qui sera proposé aux victimes qui en font la demande auprès d'une association agréée. Pour les personnes étrangères engagées dans ce parcours, une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois pourra être éventuellement renouvelée. Selon un autre amendement, la suppression du délit de racolage public entrerait en vigueur dès la promulgation de la loi et non pas six mois après.

Lutter contre les réseaux de traite

Lors du débat en commission, de nombreux députés ont rappelé qu'avec ce texte, il s'agissait "avant tout de lutter contre les réseaux de traite, notamment sur Internet et d'aider les prostituées à sortir de la prostitution". L'objectif n'est pas de faire "la chasse au client", mais de permettre d'éviter l'entrée dans la prostitution et d'en favoriser la sortie. Les députés n'ont (à ce stade) pas modifié le volet pénalisation, réservant des amendements sur "la gradation de la sanction" pour la séance. Le président de la commission spéciale, l'UMP Guy Geoffroy (déjà auteur d’un rapport sur ce sujet sous la mandature précédente), a ainsi retiré un amendement qui proposait de remplacer cette "simple contravention de cinquième classe" par un "délit" sanctionnable d'une peine d'amende de 3 750 euros. Selon lui, la création de ce "délit de recours à la prostitution" permettrait de "poser l'interdit de l'achat sexuel dans le droit pénal", "d'indiquer aux clients la responsabilité de leurs actes dans le développement de la traite des êtres humains" et "d'offrir aux services chargés de lutter contre le proxénétisme la possibilité de mettre en œuvre des mesures de contrainte nécessaires à la conduite de leurs investigations". Cela rendrait de fait la loi également applicable pour des actes commis par les Français à l'étranger, comme c'est le cas dans le délit déjà existant de recours à la prostitution de mineurs.

De furieux débats !

"Le travail d'amendement a permis de renforcer la cohérence du texte et le pragmatisme des dispositions", selon un communiqué commun des députées socialistes Catherine Coutelle et Maud Olivier ainsi que de Guy Geoffroy. La proposition de loi "renforçant la lutte contre le système prostitutionnel" fait l'objet de furieux débats dans la société française, comme l'illustre la nouvelle pétition contre la pénalisation des clients, signée par plusieurs dizaines de célébrités comme Catherine Deneuve ou l'ancien ministre socialiste Jack Lang.

Autre exemple de désaccord porté publiquement celui entre la philosophe Elisabeth Badinter et la ministre de la Santé Marisol Touraine. Dans une interview au monde (19 novembre), Elisabeth Badinter, opposée à l'idée de pénaliser les clients de prostituées, estime que "l'Etat n'a pas à légiférer sur l'activité sexuelle des individus", et "regrette qu'on n'entende pas davantage les prostituées" dans ce débat. Pour la philosophe, la pénalisation des clients, "c'est la prohibition. Je préfère parler de prohibition plutôt que d'abolitionnisme, car c'est l'objectif des auteurs de la proposition de loi", affirme-t-elle. "Sous prétexte de lutter contre les réseaux, c'est la prostitution qu'on veut anéantir. L'Etat n'a pas à légiférer sur l'activité sexuelle des individus, à dire ce qui est bien ou mal", insiste-t-elle. Elisabeth Badinter "n'arrive pas à trouver normal qu'on autorise les femmes à se prostituer, mais qu'on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n'est pas cohérent et c'est injuste". Selon elle, la proposition de loi ne va pas mettre fin à la prostitution : "Je ne connais aucune prohibition qui fonctionne. Elle démultiplie le pouvoir des mafieux". "Favorable à la pédagogie sur la prostitution et les séquelles qui peuvent en résulter", la philosophe souligne que "dans certaines conditions, la prostitution est difficile à vivre, mais il y a des femmes pour lesquelles ce n'est pas aussi destructeur qu'on le dit. Je regrette qu'on n'entende pas davantage les prostituées. Elles seules sont habilitées à parler. Mais quand l'une affirme : "je le fais librement", on dit qu'elle ment et qu'elle couvre son proxénète. Ce sont les seuls être humains qui n'ont pas le droit à la parole", déplore-t-elle. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a défendu la proposition de loi contre la prostitution visant à répondre à "la violence et l'exploitation quotidienne" subies par des prostituées, en réponse à la philosophe Elisabeth Badinter, opposée à l'idée de "légiférer sur l'activité sexuelle". "Je n'ai pas la même conception du féminisme parce que le féminisme ce n'est pas accepter, parce qu'une petite minorité peut disposer de son corps en se prostituant, qu'une grande majorité de femmes prostituées subissent la violence et l'exploitation au quotidien", a-t-elle cru bon de répondre lors d’une interview sur RTL (20 novembre). "Faire reculer la prostitution, c'est évidemment une nécessité" et "il ne s'agit pas d'avoir une vision moralisatrice de la sexualité", a insisté Marisol Touraine. "Ma préoccupation en tant que ministre de la santé c'est de faire en sorte que l'on soigne bien" les personnes prostituées pour ne pas "renoncer à la lutte contre le sida, à la lutte contre les maladies (sexuellement) transmissibles, ne pas renoncer à ce que toutes les catégories de la population accèdent à de bonnes conditions de santé", a expliqué la ministre.