Travail : stress et tests !

Publié par Sophie-seronet le 27.06.2011
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travailToxicomanie
On ne se méfie jamais assez des avis officiels dont on ne fait pas grande publicité et qui pourtant servent à définir la loi. Il en va ainsi de celui rendu par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) sur les possibilités de dépistage des drogues en milieu de travail. Une commande de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie. Sur quoi porte la réflexion de la CCNE ? Seronet décrypte.
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Qu’on ne s’y méprenne pas, la commande de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) n’est pas anodine. En effet, ce dernier émet un avis (en l’occurrence, celui-ci, intitulé : "Usage de l’alcool, des drogues et toxicomanie en milieu de travail ; enjeux liés à leurs risques et à leur détection", est le N°114) qui, normalement, sert de supports aux pouvoirs publics pour définir une norme juridique (que ce soit une loi ou un règlement). Le Comité l’a d’ailleurs récemment présenté lors d’une réunion d’information qui a réuni des acteurs associatifs, des chercheurs et des dirigeants d’entreprises très sensibles à cette question.

La réflexion du CCNE porte sur plusieurs points :

D’abord, elle inscrit la globalité des produits licites ou non dans un même cadre y compris les médicaments psychotropes et elle affirme que la distinction entre l’alcool et les produits illicites "ne s’appuie sur aucune base scientifique et est due surtout à des facteurs historiques et sociologiques". Néanmoins, le CCNE estime que cette distinction "demeure certes essentielle au plan juridique et pénal" sans donner d’arguments quant à cette affirmation. Sauf erreur, l’affirmation, que ces deux gammes de produits ne peuvent être dissociées dans la réflexion, nécessite quand même qu’on s’arrête un peu sur les conséquences pénales divergentes de la détention et de la vente de ces produits. Qu’est ce qui fonde la licéité de la détention ou négociation d’alcools et l’illicéité en ce qui concerne les drogues. Mystère !
La consommation est directement associée à l’addiction comme si tout consommateur par construction sera "addict" et que l’addiction est plus liée aux produits qu’au contexte dans lequel la personne évolue.

Deuxième point, la conscience des risques de danger pour soi-même et pour autrui liés à la consommation d’alcool et de produits illicites, semble progresser. Il y a glissement sémantique entre l’addiction et la consommation qui devient facteur de risques… Avec des exemples qui renvoient, immédiatement, le lecteur de l’avis à des catastrophes qui seraient associées à des erreurs humaines liées à la consommation de ces produits : accidents ferroviaires, catastrophe dans l’industrie chimique en Inde à Bhopal, etc. Cette évolution expliquerait pour une large part la mise en œuvre par les pouvoirs publics de "dispositions contraignantes qui auraient sans doute été jugées, il y a un demi siècle encore, comme gravement attentatoires aux libertés individuelles". Impressionnant. La sémantique associe donc consommation et addiction sans analyser le cadre des addictions, de la consommation et du risque, et de là, aboutit à une exigence de responsabilité donc de dispositions contraignantes. L’interdiction de consommation serait donc un acte de responsabilité pour réduire un risque majeur.

Le troisième point manifeste l’arrêt de la logique analysée par le CCNE : "Il n’entre pas dans la mission du CCNE d’analyser les causes multiples notamment socio-économiques du développement de l’usage des produits illicites". Cette phrase manifeste le refus d’aller au bout d’une logique. Ainsi, on regarde la phénomène de l’addiction et on l’associe à la consommation, mais on refuse d’aller dans l’analyse et la causalité de ces phénomènes d’addiction... qui sont pourtant la clé du problème à analyser.

Autre point, la liberté surveillée doit être exercée par le médecin et le service de santé au travail du fait d’une mission de surveillance de l’abstinence de consommation de produits illicites voire d’alcool soit sur signe d’appel soit "par le dépistage systématique chez des personnels affectés à des postes de sécurité et sureté clairement identifiés ou exerçant des fonctions de responsabilité ou de sécurité bien précisées". En clair, l’initiative repose sur la personne dans le cadre général et le dépistage devient systématique et est imposé aux personnels relevant de ces fonctions dites à risque. Le tout est de définir ces "postes à risque" et cela est reporté sur les entreprises. Une responsable d’une entreprise du bâtiment présente à la réunion d’information sur l’avis du CCNE demandait légitimement lors de la présentation de cet avis si cela ne pouvait pas s’appliquer à tout le personnel en se référant au principe de non discrimination. Quelle est la limite du champ où le dépistage devient la norme et s’impose à la personne (le secteur de l’informatique et du système d’information est porteur de risques pour l’entreprise) ? Quel champ donné à cette autorisation de détection par "des tests inopinés de détection d’alcool et de produits illicites par le médecin du travail" ? Aucune référence à la responsabilité de l’entreprise ou de la situation du salarié qui génère les comportements d’addiction. On ne veut pas entrer dans ce terrain qui, certes, est glissant car il met les entreprises et les autorités en face de leurs responsabilités quand le contexte du travail engendre des comportements d’addiction (certaines fonctions bien connues et très stressantes induisent ce type de besoin : par exemple les traders dans les banques)

En conclusion et avec l’exigence du "respect du corps de chaque personne", du "respect de l’autonomie" de la personne, le CCNE énonce :
"A condition d’être uniquement  une intervention dérogatoire de la société dans l’exercice des libertés individuelles, le dépistage médical de l’usage des produits illicites en milieu de travail est acceptable au plan éthique (…) souhaitable et justifié pour les postes de sûreté et de sécurité, ce dépistage devrait être élargi pour ces mêmes postes à l’abus et même à l’usage de l’alcool"… donc les postes concernés doivent donner lieu à information préalable des personnes qu’elles pourront faire l’objet d’un dépistage inopiné de prise d’alcool ou de produits illicites. Le véritable sujet est abordé de façon elliptique dans le dernier paragraphe de l’avis : "La lutte contre l’usage de l’alcool, de produits illicites et contre l’abus de médicaments psychotropes ne peut être dissociée d’une interrogation globale sur la qualité, l’intérêt et le sens du travail au sein de notre société". Sans aller plus loin dans l’interdiction de comportements des entreprises qui fragilisent les personnes… En clair, le vrai sujet de responsabilité des entreprises n’est que mentionné, mais jamais analysé pour faire l’objet de recommandations pour éviter par exemple les "risques psycho sociaux" ou les suicides que génèrent les comportements d’une gestion par objectifs individuels et par le stress… Des pratiques qui conduisent aussi à toutes les formes d’addiction… Dommage !