Dialogue

Publié par Rimbaud le 24.10.2017
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 - Tout se passe comme si le VIH avait rouvert la vanne des désillusions perdues, comme s’il était l’injection létale des démons de l’enfance, le retour d’une condamnation passée, oubliée un temps, un sortilège initial, une malédiction millénaire.

- Tu es dans la posture littéraire et donc dans un mensonge permanent. A toi-même et aux autres, et tes textes ne sont plus lus et deviennent insignifiants.

- Tu crois que c’est un jeu. Tu crois que je suis dans une relation sado-masochiste qui ne produit qu’un excrément, le texte ? Tu crois que je suis dans la recherche contemporaine de la gloriole, des likes et des flatteries ? C’est que tu ignores le manque qui cogne quand je n’écris pas, l’absence de vie, le vide absolu qui s’empare de moi et menace du grand incendie de la peur tout élan.

- Tu n’as aucun effet secondaire, tu n’as aucune raison de te plaindre, tu n’es qu’un geignard qui oublie de vivre quand bien même tu passes ton temps à louer la vie !

- Qui es-tu pour douter de ma sincérité ? Je conchie ton siècle hautain, fier et méprisant, un siècle d’où la plainte est bannie ! Oui, je loue la vie et je fais surgir des images, et je fais se lever les vents poétiques pour contrer le vide, pour qu’il ne m’emporte pas, pour opposer une résistance à l’enlisement, pour continuer de regarder au dehors, pour ne pas crever dans les murs étroits de la solitude, pour que quelqu’un, un seul, un seul être, une unique âme, vienne un jour me dire qu’il sait, qu’il me croit, qu’il a compris, qu’il a aimé, lui aussi, ces voyages en dehors de soi et que non, je ne suis plus seul.

- Que fais-tu ? Mais que fais-tu, Arthur ? Tu quémandes l’amitié ?

- Plus tu me rabaisses, plus je m’enfonce dans une terre pourrie, âcre et acide. Je m’y roule, je la mange, je m’en recouvre. Tu ne vois donc pas que je ne crois à rien, pas même à l’amitié ? Qu’appelles-tu amitié ? Un miroir narcissique destiné à refléter ce que tu espères pouvoir contempler. Tu ne m’apportes rien qui soit de l’ordre de l’élan, rien qui me propulse, rien qui mène à la célébration joyeuse. Tu incarnes la stérilité du genre humain qui jette tout juste un œil puis condamne. Tu ne vois donc pas ? Tu ne vois donc pas que je ne ferai jamais comme si le virus était absent, puisqu’il ne l’est pas ? Tu ne vois pas que les mots jaillissent de toute part, qu’ils sont l’urgence totale et définitive d’une parole retrouvée et combattante ? Tu ne vois pas que je suis le pire stratège qui soit, incapable de prévoir, d’anticiper ou de manipuler ? Tu ne vois pas que je rassemble d’une mémoire pleine les images les plus vivifiantes que j’ai ramassées aux quatre coins du monde ? Tu ne vois pas que seule la langue poétique a suffisamment de puissance pour me planter, là, au centre exact de la vie, là où sont les hommes, en action, occupés, à une construction quelle qu’elle soit ? Tu ne vois pas que ces textes disent tout de ce que je porte en moi, que c’est une offrande impudique, ma façon de marcher, mon allure imparfaite et juste ? Tu ne vois pas qu’il n’y a que là que je puisse formuler des contours à la peine parce qu’ailleurs je protège les autres de ma peur et de mon tremblement ? Il n’y a pas le plus petit commencement d’une simulation. Tout y a un sens, une direction, une énergie. J’écris comme d’autres font du sport, sculptent, lisent des revues médicales, réalisent des recettes, écoutent de la musique, militent ou battent le pavé.

- Tu es dans l’effort quand il ne s’agit que de vivre…

- Ah, ne me raconte pas l’éternelle histoire du lâcher-prise, de l’insouciance ou de l’oubli ! Je laisse ça aux ignorants.

- Qui te dit que la connaissance conduit au bonheur ?

- mais rien, rien, absolument rien : au contraire ! La connaissance est un chemin ardu semé d’embûches qui contraint à penser la mort et les obstacles. Elle est confrontation mais elle donne une densité à chaque chose, fussent-elles laides, grossières ou déformées. J’ai parfois été tenté par le détour, la fuite ou le masque. Oh, comme il est plus facile de détourner le regard, de passer sous silence et de taire. De nos jours, rien ne permet de distinguer un nouveau séropo et cette invisibilité est pratique, et dangereuse pour l’individu. Au nom de quelle morale faudrait-il cacher, retenir, enfouir et paraître ? Au nom de quel impératif faut-il marcher le pas léger, en faisant mine d’avoir une grippe, un rhume, un de ces trucs de bon vivant ? Pourquoi faudrait-il ingurgiter son cachet dans le secret d’une mauvaise conscience, inventer des motifs d’absence auprès de l’employeur, se définir « clean » sur les réseaux ? Par peur de la stigmatisation ? Par peur de l’assimilation à tous les morts du passé qui n’ont jamais été aussi présents ? Pour pouvoir assouvir son désir quotidien dans des bras mensongers, en devenant le personnage que la société ignorante réclame ? Alors oui, tu peux rire de mes rimes, tu peux faire mine de ne pas les comprendre, tu peux nier la réalité de l’énergie que j’injecte dans les mots, mais tu ne peux tuer la voix, mais tu ne peux participer à l’extinction du chant général en méprisant la mise en scène quand nous savons tous depuis toujours qu’elle est nécessaire à l’émergence d’une vérité, qu’elle est le détour nécessaire pour que la flèche se plante, là, droit dans le mille, droit dans le cœur, droit dans la tête, frontalement. Je ne laisserai pas ma parole aux médecins, aux survivants, aux sachants. Je m’empare du droit absolu et inaliénable d’une parole ignorante qui ne cherche à convaincre personne, qui n’est qu’une incantation, qui n’est que la mélopée barbare d’un cri dans la campagne.

Commentaires

Portrait de jl06

tu nous fait  du grand Rimbaud   , ....publie ....

Portrait de Rimbaud

lu dans un livre "le sida n'est pas vendeur", ça n'intéressera aucun éditeur je pense mais peu importe, je ne veux pas penser à ça pour l'instant, je me demande quand je n'aurai plus envie d'écrire, ce moment finit toujours par arriver. On verra bien. 

Portrait de Pierre75020

J'ose à peine mettre un commentaire mais je serais désolé de ne plus pouvoir lire tes billets que je trouve sincères, dépourvus de toute affectation , riches de réflexions lucides.A les lire on comprend que le VIH n'est pas seulement une question de médecins et de médicaments, mais aussi de vie intérieure, c'est peut être une évidence, encore faut-il être capable de trouver les mots pour le dire.

Portrait de Rimbaud

pour l'instant, l'écriture continue mais je suis le premier surpris ne me considérant pas comme un écrivain (sauf à dire que nous le sommes tous). On verra bien. ;) Le VIH est ma muse maléfique (rire).