lecture

Publié par filigrane le 18.04.2011
2 290 lectures

La semaine dernière, au cours d’un petit voyage en solitaire de 4 jours au cours duquel je m’étais justement promis de réfléchir, de me retrouver un peu, moi qui me laisse toujours un peu accaparer par le boulot, j’ai lu le livre d’Alexandre Bergamini, « Sang damné ».

 

Il y a beaucoup de choses que je ne partage pas : je ne ressens pas la même agressivité à l’égard du corps médical, je ne crois pas tellement au complot contre les séropositifs, et je garde à l’esprit que beaucoup de destinées sont tout aussi douloureuses, voire beaucoup plus douloureuses que les nôtres.

 

De la même manière, je n’ai jamais vraiment pratiqué une sexualité sans amour, sans lien affectif en tous les cas, n’ai jamais pratiqué le bareback et je ne me reconnais jamais quand on assimile l’homosexualité à une forme de sexualité affirmée pour elle même.

 

Mais il m’a touché à bien des égards. Il est venu me rappeler tout de même ce qu’en vieillissant j’ai de plus en plus de mal à me cacher : que la séropositivité et les traitements  pèsent sur ma vie, sur la confiance que j’ai en moi, sur le regard que je porte sur mon corps, sur ma manière d’aborder les autres, sur mes liens amoureux et sur ma sexualité. Il est venu me rappeler qu'elle génère des peurs qui ont une incidence permanente sur la conduite de ma vie.

 

En ce moment, je me demande comment aborder « l’âge mûr ». Je me sens vieillir. Vieillir avec le VIH, avec une forme de solitude dans laquelle il enferme (dans les faits ou dans l’esprit) et qu’il faut en partie accepter, en partie combattre.  Il faut d’abord trouver des raisons très profondes, très essentielles d’être heureux. C’est surtout là que le livre de Bergamini m’a touché et m’a donné des éléments de réponse : j’en donne un extrait, p. 234

« Mon moi s’est élimé, dissous à force d’exaltation et de courage face à la mort. Je suis devenu un filtre en transparence. Un voile que le jour traverse, un fêlé laissant passer la lumière. La séropositivité a affirmé mon intégrité et la puissance de ma faiblesse. Non surgo ni cadam.

J’ai retrouvé l’idiot heureux et indépendant que j’étais. Celui qui n’aurait jamais dû être ignoré. Celui qui ne se bat pas et n’est pas terrassé. Celui-ci vit en lis !ère d’illusions choisies. Il survit à tout. Le monde ne le concerne pas. Il se satisfait de peu. De la lumière d’une poésie, d’un nuage, d’un oiseau. Mon imbécile heureux se nourrit d’un brin »

 

J'aime bien l'idée d'une "puissance de la faiblesse" 

 

 

Commentaires

Portrait de ecceomo

filigrane wrote:

J'aime bien l'idée d'une "puissance de la faiblesse" 

 

moi aussi 

tout cela me donne bien à penser,

et à chercher aussi hors des sentiers battus ...

la solitude (les solitudes... car elle est multiforme) n'est peut être plus un handicap quand elle se conjugue en conscience, une blessure certainement, une richesse ?...

ne pouvant décider , imbécile heureux qui se nourrit de rien, tout peut être alors tremplin pour... pour...

un moi dissout (ok C pô chair Clin d'oeil)

y en a beaucoup qui cherche cela tout une vie... 

Vieillir, vieillir... vaste chantier qui commence tellement tôt

c'est plutôt la manière dont on déni, le jeunisme qui sont  un aveuglement assassin..

mais je sais, vieillir vieillir, pas toujours drôle, ça oblige au détachement

ça oblige à ne pas remettre à plus tard qui n'existera pas...

alors cela peut aussi être un pas de plus vers la liberté, la légèreté

la peur est une alliée puisqu'on n'en maîtrise pas la source, c'est un révélateur, qui force à décanter.. ou à sombrer (je sais)

 "Il faut d’abord trouver des raisons très profondes, très essentielles d’être heureux."

même en plein coeur du malheur ... c'est parfois possible.

ne pas avoir honte d'être malgré tout parfois comblé par la gratuité d'un rien 

courage

pensée vers toi

ecce 

Portrait de badiane

le filtre en transparence me "travaille" moi aussi, de plus en plus, mon caractère entier accepte de moins en moins certaines concessions et le secret. Mon instinct de bête me somme de me taire face à l'ignorance mais je ne suis pas en adéquation avec mon honnêteté, la séropositivité fait partie de ma vie, de mon esprit, de ma façon de respirer et sans s'alourdir dessus pendant des heures quand je ne le dis pas à quelqu'un c'est que je ne lui fais pas confiance ou que je ne me fais pas confiance, je crois être un peu hors-sujet,

pour ce qui est de vieillir, je n'ai pas spécialement aimé ma jeunesse, seulement des moments d'enfance où je me sentais libre ont été importants, ma jeunesse, je n'en ferai pas l'éloge ou une mélancolie, le jeunisme à tout prix me fatigue, les jeunes souffrent aussi, c'est sûr le corps encaisse mieux quand tu es jeune et tu peux le tordre et lui en faire voir pour ensuite l'oublier comme un outil que tu utilises et dont tu ne prends pas forcément soin,seulement le regret que certains endroits te soient fermés parce que tu es trop ieuv alors que tu aimes encore danser, rire et parfois t'oublier dans des futilités, cependant, je me préfère mentalement à quarante et un ans et suis plus en paix avec moi-même, je me surprends à regarder mon prochain avec tolérance et un certain amusement, la séropositivité m'a apportée oui oui elle apporte aussi,même si elle me bouffe parfois, le réflexe d'aller à l'essentiel, de savoir ce que je n'aime pas, de m'affirmer, de combattre, de prendre de l'avance sur la mort, d'intégrer la mort dans mon parcours et si je jette un regard sur le chemin parcouru  je me dis que pour mon âge j'ai fait et vu pas mal de choses, ce composite, il me faut en faire des fondements pour la suite..amicalement, badiane

Portrait de stéphanie69

un merci particulier à Alexandre bergamini pour son livre "Sang damné", qui est un de plus beau livre que j'ai lu sur la maladie et sur le courage de vivre en étant séropo. Très beau, dense, émouvant et extraordinairement bien écrit. (je suis, ce qu'on appelle, une grande lectrice;) Tous séropos, médecins, assos devraient le lire!

C'est un livre que l'on n'a jamais lu ailleurs et qui ne ressemble à aucun autre. Une grande force d'écriture poétique, des notes philo, socio, médicales en alternance avec un récit de vie. Un livre complexe comme la vie. Notre vie! à quelques nuances près bien sûr, puisqu'il s'agit de SA  vie. Mais le livre vous prend et ne vous lâche pas...

Ce n'est pas une 'belle' histoire. C'est notre histoire à nous les séropos. Entre ombre et lumière.