Les chroniques du poumon [Le chaud effroi du chauffagiste]

J'étais ce début de matinée tel Sœur Anne à ma fenêtre, guettant l'arrivée du sympathique et bien joli livreur d'Intermarché, puisque j’ai en effet il y a deux jours passé commande d'une cargaison de victuailles dont je me demande si elle ne va pas être la goutte d’eau qui va faire déborder cette chose qui me tient lieu de ventre et me conduire à devoir changer l'intégralité de ma garde-robe…

Entre l'inactivité, la prise quotidienne de cortisone et les changements physiques liés à l'âge et les traitements, je commence à être le fruit d'un croisement entre Dizzy Gillespie et un culbuto : l'image de profil que me renvoie mon miroir est assez terrifiante et dépassera même sous peu je pense l'entendement.

J'étais donc là à regarder la rue sur laquelle tombait une bruine légère : un plombier-chauffagiste que j'avais vu en vain chercher une place pour se garer (il finira à cheval (le véhicule, pas l'artisan) sur le trottoir) s'est présenté à la porte de la petite maison d'en face, afin de visiblement procéder au changement d'une installation défaillante. Il a donc extrait et apporté de sa camionnette tout le matériel nécessaire, puis s'est rapidement mis à l'ouvrage une fois engouffré dans l’habitation (du moins je le suppose, la dame âgée qui est là aujourd'hui ne devant pas avoir le cœur à la gaudriole).

Quelques instants plus tard, alors que j'avais toujours le nez collé au carreau (les marques que je laisse me prouvent que j'ai effectivement la peau grasse ces jours-ci), j'ai vu le faîte de la cheminée prendre son envol telle une fusée SpaceX des débuts*, glisser le long du toit et rebondir sur la gouttière avant que d'aller s'écraser sur la rue, alors que, dans le même temps, un tuyau d'évacuation en aluminium émergeait de l'orifice dénudé et poursuivait, tel le serpent d'un charmeur indien, son ascension avant d'aller s'écraser mollement sur le haut de la charpente.

J'ai, je ne me souviens plus exactement de l'onomatopée, laissé échapper quelque chose comme "Oouuullllaaaa !!!", avant qu'être soulagé de constater que le chapeau de la cheminée n'avait pas élu nouveau domicile sur la tête d'un passant, ni même, alors que cette rue est plutôt passagère, provoqué un accident dont les conséquences auraient pu être sérieuses.

Le brave homme ne s'est aperçu de la chose que bien des minutes plus tard, alors qu'il allait chercher un surplus de matériel dans sa fourgonnette : dès la vue de cette chose briqueuse en dizaines de morceaux (dont certains auraient pu assommer un solide gaillard) sur la rue, il a saisi, avec très probablement une belle peur rétrospective, ce qui avait pu se passer et a alors levé les yeux vers la toiture.

C'est la mine déconfite qu'il a regardé en haut, en bas, puis en haut, puis en bas, puis... avant d'avoir le sage et très sain réflexe d'aller chercher pelle, seau et balai pour nettoyer la chaussée.

Je le verrai par la suite sur le toit, installant une nouvelle tête de cheminée en matière plastique, manoeuvrant sans garde-fou ou matériel d'assurance et prenant appui sur l’édifice d’évacuation dont les fissures apparentes m'ont fait craindre devoir appeler police et SAMU : il n'en a heureusement rien été.

J'ai, durant cet épisode au suspense insoutenable (saturation à 86 et pouls à 117), reçu un appel de mon mignon livreur qui m'annonçait un retard conséquent lié à un problème sur une livraison précédent la mienne.

Je me suis alors remis à la fenêtre et ai intérieurement répondu au célèbre :

            - "Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?"

            - "Je ne vois que le ciel qui bruinoit et le chauffagiste qui merdoie ".

*J'emploie à dessein cette dénomination car, tout comme le véritable engin dans les premiers instants de sa jeune carrière, l’atterrissage n'aura pas été des plus réussis (c’est à dire avec retour sur Terre du premier étage après qu’il ait mis en orbite les satellites voulus).