Mes musiques

Publié par jean-rene le 29.03.2013
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J’aime la longue plainte stridente et déchirante des cordes dans le mouvement lent du concerto de Bartok. Elle évoque en moi des douleurs tellement intenses que je ne peux imaginer les avoir vécues. Ce sont des douleurs d’un autre âge dont je suis sans doute porteur : douleur de l’arrachement, douleur de l’abandon, douleur de la rage de devoir accepter l’humiliation. Toutes ces douleurs convergent sur moi quand retentit le cri inhumain de cette musique.

J’aime aussi  le murmure puissant des arbres de la forêt dans le final de l’Enfant et les Sortilèges lorsqu’ils chantent : « Qu’il est doux l’enfant, qu’il est sage ! ». L’enfant blessé, replié sur lui-même, est alors protégé par les grands arbres qui le prennent dans leurs branches pour le consoler.

Cette force de consolation qui habite la nature, j’y ai souvent eu recours, que ce soit allongé dans un champ, contemplant des pâquerettes ou des boutons d’or, ou avançant, la nuit, sur une digue qui s’enfonce dans la mer, fouettée par les vagues, ou faisant face au monde infini de la terre, au sommet d’une montagne, brûlé par le soleil et giflé par la froideur du vent.

J’aime enfin l’érotisme du duo d’amour final du Couronnement de Poppée. Scandaleux duo qui vient couronner le suicide du philosophe moraliste  et la répudiation de la femme légitime, et glorifie l’amour charnel pour une catin. Ce duo sublime, c’est l’exigence de vie de la chair, envers et contre toutes les barrières érigées par la société pour empêcher cette vie d’exploser ; il a l’indécence pulpeuse d’un vagin qui s’offre, et la hardiesse casquée d’un phallus triomphant.

La tendresse enlaçante de deux amants l’un pour l’autre, les caresses incessantes et impudiques dont ils s’abreuvent, témoignent de la capacité qu’a le corps, de faire fi de toutes les souffrances inventées par les femmes et les hommes pour s’asservir les uns les autres.

Le cri douloureux des humains malmenés par leurs semblables, le chant protecteur et salvateur de la nature, et l’affirmation que  la  voie qui conduit à l’Amour absolu passe par la chair, voilà ce qui m’habite, voilà ce que j’aime dans ces musiques d’une beauté irréelle.