Quitte à en mourir

Dans ma longue vie, la seule folie que je me sois permise, a été de vivre l’homosexualité à laquelle, selon mon père, j’étais destiné, prédiction à laquelle, d’ailleurs, je ne voulais pas croire.

Le premier signal fut, alors que j’avais trente-neuf ans, un rêve homosexuel que je fis alors que j’étais en psychanalyse.

Un an plus tard, je décidai de faire ma première rencontre homo, décision provoquée par le prochain départ de Paris de mon père, comme si l’éloignement de mon père atténuait chez moi l’humiliation de réaliser sa prédiction.

Deux ans plus tard, j’accompagnai un ami homo dans un baisodrome pour homme. Le comble est que cet ami était prêtre et qu’il m’amena dans ce baisodrome un soir de Vendredi Saint !

Je pris goût, ainsi, à ces lieux de baise anonymes et sordides dans lesquels, conscient des risques que je prenais, je ressentais que mon père, qui venait de mourir, me « tirait par les pieds ». « Baise les hommes et rejoins-moi » me disait-il.

J’obtins ce que je recherchais puisqu’à quarante-trois ans, je fus infecté par le VIH. J’avais alors dix-neuf mois d’espérance de vie. Il y avait de fortes chances pour que je rejoigne bientôt mon père.

Ce faisant, j’échapperais définitivement à l’emprise de ma mère à laquelle j’avais obéi  jusqu’alors, en « travaillant bien à l’école » et en faisant un mariage qui lui permit de réaliser son rêve : entrer dans la bourgeoisie.

Il est difficile de décrire le degré d’exaspération auquel j’étais parvenu après 40 ans passés à être le bon garçon qu’on me demandait d’être, le grognard auquel l’empereur tirait gentiment l’oreille après chacune de ses victoires.

Quand on a si bien réussi à accomplir tout ce qu’on attendait de vous, on n’a plus qu’une seule envie , une envie folle, celle de renverser la table, d’être la honte de sa famille pour vivre enfin ses désirs les plus inconscients, quitte à en mourir.