Train de Paris, trains de paris.

Publié par Kitsune le 12.01.2018
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Une vie entière à prendre des trains qui n'ont que rarement mené quelque part. Il a fallu tenter sa chance ou rester à quai : il n'a toujours été d'autre choix, cloué au sol que l'on était de par son passé, ses carences, sa déshérence, que monter dans la rame face à soi. C'était cela ou l'on restait là où l'on ne voulait plus être. Et mourait.

Des trains, il y en a eu plein : lequel, lesquels fallait-il attraper ?

A force de chercher, à force d'avoir peur de perdre, l'on a fini par se perdre. Et par perdre ou manquer : ce en quoi l'on croyait, ceux qui étaient là et que l'on a pas vus alors qu'il était encore temps, les arts sur les murs tant récents qu'anciens, les herbes folles qui poussaient entre les pavés de la ville (la liberté existe), ce taxi dans la nuit qui aurait sauvé de l'agression qui a laissé cette horrible cicatrice au menton, le garçon aux mille visages qui aurait rendu heureux et que l'on aurait rendu heureux, cette passion que l'on voulait voir être sa vie parce qu'elle était la raison de vivre.

L'on se retrouve des années plus tard assis dans une discothèque ou une backroom un soir de grisaille : il fait froid, le brouillard est partout dans les rues, il est une heure passée, personne. L'on commande un verre, un autre, encore un, puis un autre, encore un autre. Un garçon propose du poppers : on dit non, ça pue. On reprend un verre. Puis un autre. Le garçon au poppers est à nouveau là : on dit oui. La tête s'enflamme, le décor se fond dans les limbes de la pensée morbide : on traverse une autre dimension, un vortex de mal-être et de terreur, peuplé de gens à l'âme noire. L'on est au bord de l'horizon des évênements qui mène au néant indicible.

L'on est assis mais l'on va tomber, on le sait. Si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard cette nuit, ou alors demain, ou alors encore un autre jour. Mais cela arrivera.

Le garçon au poppers est toujours là, il sourit. On esquisse une grimace. Il faut vite reprendre un peu de conscience. Mais ce n'est déjà plus possible. Les autres ne sont déjà plus que des enveloppes avec des bouts de tissu. Ils bougent, ont l'air de parler et vivre. L'on est là et l'on regarde. L'on est plus capable de rien. La tétanie a gagné tous les sens.

Alors on attend, l'on ne sait pas quoi, la tête percée de fulgurances meurtrières et de bonheurs moribonds. L'on entrevoit une lueur au souvenir de ce sursaut de dignité qui bien des fois déjà nous a sorti de ces ornières. Ou alors peut-être un Prince égaré va-t-il arriver : mais là, au vu de l'état dans lequel on sait être, l'on met de suite un frein à l'avenir. Alors on continue à attendre. Le temps n'a plus de prise, d'emprise. L'atemporalité est une, entière, impériale, elle est un en-soi : l'on flirte avec la mort. Et cela rassure. Parce que tout est difficile, parce que l'on est fatigué d'attendre et espérer.

  

Commentaires

Portrait de Dakota33

J'aime beaucoup ce que tu as écrit, ça me touche énormément à titre perso.

 

De plus, ressortir Sapho, ça c'est fort quand même !

Portrait de Rimbaud

Terrible et si vrai, ce texte dit beaucoup, vraiment beaucoup...

Portrait de jl06

 

si realiste ,quesqu'il peut bien nous attirer dans se trefond ... parcque au final on aime bien fleurter avec la mort non?