VIH en Ouganda : se (re)lever malgré les embuches

Publié par Fred Lebreton le 06.09.2023
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Du 7 au 11 août 2023, une délégation composée de plaideurs, d’un journaliste et d’une chercheuse issus-es de la lutte contre le VIH était à Kampala (Ouganda) pour rencontrer des activistes de la lutte contre le VIH/sida, des institutionnels-les et des personnes concernées. Seronet faisait partie de l’aventure.

Un président au pouvoir depuis 37 ans !

Lundi 7 août 2023, nous sommes arrivés-es dans la nuit à Kampala, la capitale de l’Ouganda, après un long voyage depuis Paris ou Washington DC. Nous, c’est-à-dire Serge Douomong Yotta (directeur du plaidoyer à Coalition PLUS), Léo Deniau (chargé du plaidoyer international à AIDES), Alana Sharp (chercheuse en santé publique basée à Washington DC, États-Unis) et moi-même Fred Lebreton (journaliste pour Remaides et Seronet). En ce premier jour de mission, nous sommes accueillis-es par Kuraish Mubiru qui sera notre guide pendant cette semaine. Kuraish est le directeur de Uganda Young Positives, une association ougandaise qui accompagne et mobilise près de 50 000 jeunes (de 10 à 24 ans) vivant avec le VIH. Kuraish est aussi un activiste connu dans tout le pays. Né avec le VIH, il témoigne de son vécu à visage découvert et il est représentant des personnes vivant avec le VIH au sein de l’instance de coordination nationale pour le Fonds mondial, (CCM), en Ouganda. Enfin, l’activiste fait également partie du comité de pilotage de l’étude Rise.

L'Ouganda est un pays d'Afrique de l'Est. Il est aussi considéré comme faisant partie de l'Afrique des grands lacs. Le pays est entouré par la République démocratique du Congo (RDC) à l'ouest, le Kenya à l'est, le Rwanda au sud-ouest, le Soudan du Sud au nord et la Tanzanie au sud. Le sud du pays englobe une vaste partie du lac Victoria. L'Ouganda tire son nom du royaume de Buganda, qui couvrait autrefois les régions les plus au sud. Le territoire devient un protectorat britannique en 1894. Il obtient son indépendance en 1962 sous le Premier ministre Milton Obote, qui accède à la présidence en 1966 en transformant le régime parlementaire en régime présidentiel. En 1986, le Mouvement de résistance nationale gagne la guerre et Yoweri Museveni accède à la présidence. Grâce aux amendements constitutionnels, il reste au pouvoir pendant 37 ans (âgé de 78 ans, il est toujours en fonction aujourd’hui). Kampala, la capitale où nous nous trouvons, se situe à côté du lac Victoria, le plus grand lac d'Afrique. Des collines arborées, recouvertes de villas aux tuiles rouges, entourent le centre urbain et ses gratte-ciel contemporains. Dans le centre-ville, l'Uganda Museum abrite le patrimoine tribal du pays à travers une grande collection d'artefacts. Non loin de là, sur la colline de Mengo, se trouve Lubiri Palace, ancien siège du royaume du Buganda.

Le VIH ne m'a pas tué !

Premier stop de la semaine, Kuraish nous emmène visiter les locaux de son organisation, Uganda Young Positives. Dans son bureau, l’activiste pose fièrement pour quelques photos. Derrière lui, encadrés au mur, des certificats qui attestent du travail accompli par son association. Après nous avoir présenté son équipe, Kuraish accepte de partager son histoire avec nous : « Mon parcours en tant qu'activiste VIH a commencé en 2014. À l'époque, je venais de terminer mes études à l'Université Makéréré, et une amie à moi m'a présenté à cette organisation passionnante qui coordonne les jeunes vivant avec le VIH. J'étais enthousiaste à l’idée de rejoindre Uganda Young Positives car ils offraient des services et s'occupaient d'une population unique à laquelle j'appartenais. Pendant mes études à l'université, je n'avais pas eu l'occasion de me lier d'amitié avec des amis ou des camarades vivant avec le VIH. À cette époque, je ne voulais pas être mêlé à quoi que ce soit lié au VIH en raison de mon histoire personnelle et du niveau de stigmatisation que j’ai vécu après avoir découvert ma séropositivité », explique l’activiste.

Retour en arrière. Kuraish apprend qu’il est né avec le VIH en 2003 suite au décès de sa mère lié au sida. Il a 12 ans. « Mon père a pris la décision de m'envoyer dans notre maison de campagne afin que, lorsque je décèderais, il n'ait pas à supporter des frais élevés pour me transporter de Kampala, la capitale, à Fort Portal [ville ougandaise située dans le district de Kabarole, ndlr], où ma mère était enterrée. Dans son esprit, il croyait que je suivrais ma mère, cette même année. Il a fallu la force et le courage de ma grand-mère pour prendre soin de moi et me faire suivre un traitement. Je ne suis pas mort du VIH. Le VIH ne m'a pas tué ! »

Non seulement Kuraish ne tombe pas malade, mais le jeune homme revient à Kampala en 2007 pour reprendre ses études : « J'ai promis que je rendrais ma grand-mère fière de moi. Et je voulais aussi prouver que j’allais bien au reste de la famille qui m'avait abandonné et chassé de chez moi pour que j'aille mourir avec ma pauvre grand-mère », raconte celui qui est aujourd’hui directeur d’une des plus grosses organisations VIH en Ouganda. « En raison de ce traumatisme de l'enfance et des niveaux de stigmatisation et de discrimination que j’ai subis, j'avais en moi quelque chose qui me disait qu'il y avait probablement des milliers de jeunes qui traversaient le même processus que moi ».

En 2014, Kuraish obtient un diplôme universitaire en gestion des archives, mais sa vie change cette année-là quand il découvre l’organisation Uganda Young Positives : « J'ai rapidement plongé dans ce milieu [de la lutte contre le VIH] et je me suis dit, c'est là que se trouve ma passion, maintenant. J'ai dû mettre de côté mon diplôme universitaire que je poursuivais à l'époque. En fait, je n'ai jamais exercé ma profession. J'ai entrepris des actions de plaidoyer et je suis devenu un fervent défenseur des jeunes vivant avec le VIH en Ouganda. Avant que je m'en rende compte, je suis devenu une personnalité nationale. Je suis maintenant un représentant mondial. Je siège au comité directeur des droits et cela m'a emmené à voyager dans le monde entier », raconte l’activiste.

Fier de son parcours, Kuraish a prouvé à sa famille que le VIH n’était pas une fatalité : « Ils m'ont vu à la télévision plusieurs fois. Ils m'ont entendu parler à la radio, dans des forums nationaux et internationaux. Je pense maintenant qu'ils sont fiers de moi. À l'époque, ils avaient honte d'être associés à moi. Ils pensaient que le VIH était synonyme de mort. Mon parcours les a contredits. La narration a changé. Je suis une figure internationale de la lutte contre le VIH. Je siège dans de grandes salles de réunion. Je négocie avec des gouvernements nationaux et internationaux. Et ils disent : « Waouh, c'est notre fils ». Mon ami, mon allié, c'est le temps. J'avais un guide spirituel à l'époque qui me soutenait dans mes études et il me disait : « Kuraish, ton avenir est prometteur. Malgré ta séropositivité, ton avenir est prometteur. Tu es un jeune homme brillant. Tu es intelligent. Et tu as une cause. Ta passion est immense. Et je suis sûr que le chemin que tu prends sera formidable pour toi ». Et cela s'est réalisé. Et je suis sûr que ma famille est plus que fière de moi maintenant ». Une belle revanche sur la vie.

Un héros pendant le confinement

En mars 2020, l’Ouganda, comme le reste du monde, se ferme totalement en raison de la pandémie de Covid-19. Le confinement très strict va considérablement bloquer le pays, y compris l’accès aux traitements VIH : «  Il n'y avait pas de déplacements. Il n'y avait pas d'éducation. Il n'y avait rien pendant près de deux ans. Et bien sûr, l’accès aux services de santé tels que l'offre de traitement contre le VIH est devenu très difficile pendant ces deux années », raconte Kuraish. L’activiste écrit au ministère de la Santé pour leur demander la permission de récupérer et distribuer des traitements VIH : « Le ministère a rapidement répondu à ma demande et m'a offert un laissez-passer et j'ai été autorisé à me déplacer en voiture dans toute la ville et à offrir ces services à nos communautés. J'ai mis mes contacts WhatsApp et mail en ligne et j'ai dit à mes collègues, si vous avez quelqu'un qui a besoin de ces services, contactez-moi simplement et je veillerai à ce qu'ils reçoivent leur traitement. Les personnes m'envoyaient des noms de leurs centres de traitement où ils allaient chercher leurs médicaments. Je me levais à l'aube tous les jours et je conduisais pendant huit heures pour récupérer les traitements dans les différents centres de santé et les livrer aux personnes qui en avaient besoin ». Le dévouement de Kuraish fait le tour des médias nationaux et le 25 mai 2020, l’Onusida lui consacre même un reportage.

La loi anti-homosexualité

Ces derniers mois, l’Ouganda a fait la une des médias internationaux pour des raisons moins glorieuses, la mise en application d’une des lois les plus homophobes jamais votées à ce jour dans le monde. Kuraish ne cache son inquiétude sur l’impact délétère de cette loi dans la lutte contre le VIH en Ouganda, qui constitue un vrai recul des progrès réalisés : « Ce n'est pas une nouvelle loi. C'est une loi qui a été adoptée il y a quelques années en 2014, mais qui a été annulée par les tribunaux de droit pour un vice de procédure. En 2023, le Parlement ougandais a, de nouveau, présenté le projet de loi et il a été adopté à nouveau, en mai dernier. Cette loi interdit les rapports sexuels [consentis] entre des personnes du même sexe. Pour nous en tant qu'acteurs de la lutte contre le VIH, nous savons que cette loi a un impact considérable sur la réponse apportée. Dans les populations clés comme les personnes LGBT, la prévalence du VIH en Ouganda est de 13 %, c’est deux fois plus que le taux de prévalence national, qui est de 5,5 % ». 
Le directeur de Uganda Young Positives explique que cette loi compromet les objectifs nationaux et mondiaux visant à mettre fin au VIH/sida en tant que menace pour la santé publique d'ici 2030 : « Nous savons que la majorité des personnes de la communauté LGBT en Ouganda sont des jeunes, âgés de 20 à 35 ans. Pour nous en tant qu'organisation, ce sont les jeunes que nous accompagnons au quotidien. Cette loi les éloigne du dépistage, de la prévention et du soin », déplore l’activiste. Les premiers effets de la Loi anti-homosexualité se font déjà ressentir : « Certaines personnes, quand elles me voient porter une tenue corporative avec le logo de l'Ouganda et de l'USAID [Agence des États-Unis pour le développement international, ndlr], se disent, ah, ce sont les personnes qui veulent promouvoir l'homosexualité… Personne ne fait la « promotion » de quoi que ce soit ! Notre mission est d’offrir des services de santé à des personnes vulnérables. Nous avons déjà des rapports qui montrent que certains centres d'accueil pour nos communautés ont été fermés. Certaines personnes de la communauté LGBT sont maintenant plus ou moins dans l'expérience du confinement. Elles ne peuvent pas vraiment sortir pour récupérer leurs médicaments. Elles ont peur de se faire arrêter en allant se faire soigner », déplore Kuraish.

L’espoir d’une jeunesse sans VIH

L’activiste espère que la loi finira par être abrogée et en attendant il garde l’espoir : « Je pense que ce que nous aimerions accomplir n'est pas très différent des objectifs de l’Onusida. Nous voulons voir un monde sans VIH. Nous espérons qu'à partir de maintenant, dans sept ans, le 31 décembre 2030, le VIH, ou plutôt le sida, ne sera plus une menace pour la santé publique dans le monde. Il ne sera plus une menace pour la santé publique en Ouganda. Et c'est ce que nous espérons accomplir. C'est ce que nous visons à accomplir », explique le directeur de Uganda Young Positives. « Mais au-delà de cela, nous voulons voir une jeune génération sans VIH. Des jeunes qui ne naissent pas avec le VIH, tout comme nous sommes nés avec le VIH. Des jeunes qui ne peuvent pas contracter le VIH en raison des vulnérabilités qui les entourent. Des jeunes éduqués qui comprennent l'impact du VIH, qui savent comment le virus se transmet et ce qu'ils peuvent faire pour se protéger contre le VIH. C'est notre vision plus vaste. Nous voulons avoir une génération de qualité, un avenir plus lumineux, tout comme mon père spirituel me l'a dit. Nous voulons voir une jeunesse qui peut prospérer avec ou sans le VIH, une jeunesse qui peut réaliser son plein potentiel sans stigmatisation et discrimination, sans législation, sans limitation. Et c'est ce que nous voulons voir dans un avenir proche ».

 

Le VIH m’avait fait perdre confiance en moi

Mardi 8 août 2023, il pleut aujourd’hui à Kampala. Kuraish, notre guide et hôte pour cette mission, nous emmène de nouveau dans les locaux de son organisation Uganda Young Positives. Sur le chemin, nous croisons de nombreuses personnes en moto, parfois à trois, voire quatre sur le même deux roues ! Kuraish nous explique que la circulation en voiture est très dense à certaines heures de la journée dans Kampala et il n’y aucun transport en commun public alors beaucoup de personnes préfèrent se déplacer en moto. Dans le centre de la ville, les routes ne sont pas toujours goudronnées, ça secoue pas mal ! Sur le chemin, on observe beaucoup de verdure, des commerces ambulants et un nombre conséquent de personnes qui semblent vivre dans la rue et qui vendent des fruits aux feux rouges. Dans un ballet bien orchestré, Kuraish slalome entre les voitures, les piétons et les motos. Le centre-ville grouille de monde et de véhicules dans un brouhaha incessant.

Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Ruth, une jeune femme de 24 ans qui est née avec le VIH. Visiblement intimidée, Ruth parle doucement et ne me regarde pas dans les yeux pendant notre discussion. Je lui montre un exemplaire de Remaides et je lui explique que je suis une personne concernée par le VIH. La jeune femme, qui est aujourd’hui activiste et plaideuse en matière de santé sexuelle et reproductive revient sur son enfance : « Malheureusement, mes parents sont décédés [des suites du sida], mon frère aîné est négatif, mais mon frère cadet est né avec le VIH et il est décédé avant ma naissance. J'ai grandi en vivant avec le VIH, sans le savoir », confie Ruth. La jeune activiste découvre sa séropositivité en 2008 à l’âge de huit ans après une hospitalisation suite à des douleurs abdominales : « Ce n'était pas facile, à cette époque, j'étais à l'école primaire, et on nous avait fait un discours sur le VIH et je savais ce que c'était sans savoir que je l'avais. Un mois plus tard, j'ai découvert ma séropositivité quand j'étais en troisième année de primaire. J’étais choquée et tellement déçue. Et je ne savais même pas pourquoi je prenais des médicaments, mais je continuais à les prendre. Un de mes enseignants a révélé ma séropositivité à mes camarades et je me suis sentie très stigmatisée ». Peu après, Ruth arrête de prendre son traitement VIH : « En dernière année de primaire, je suis tombée très malade car je ne prenais plus mon traitement parce que j'avais peur que les autres enfants découvrent que j'étais séropositive. J'ai eu une discussion avec une conseillère. Elle m'a expliqué à quel point c'était important pour moi de prendre mes médicaments et j'ai suivi son conseil. En reprenant mon traitement, ma santé s’est améliorée et j’ai pu retrouver une vie normale au collège. Je pense que sans ma conseillère je ne serais peut-être pas en vie car le VIH m’avait fait perdre confiance en moi ».

Aider d’autres jeunes vivant avec le VIH

Non seulement Ruth reprend confiance en elle, mais, à son tour, elle va devenir un modèle pour d’autres jeunes vivant avec le VIH : « Cela m'a aussi aidé à devenir une personne paire [éducatrice] et de confiance, une mentor pour mes camarades. C'est là que mon parcours a commencé dans la lutte contre le VIH et j'ai donc été mentor pour des jeunes personnes séropositives pour qu'elles prennent bien leurs médicaments. J'ai travaillé au Naguru Teenage Promotion and Health Centre pour mettre en œuvre des programmes en éducation par les pairs et en mentorat professionnel. Ensuite, j'ai travaillé pendant deux ans avec le ministère de la Santé dans le cadre du projet de Young Adolescent Peer Supporters (Soutien aux adolescents-es pairs-es). J'ai été impliquée dans de nombreuses initiatives destinées aux jeunes vivant avec le VIH. Cette cause me motive beaucoup ».

Ruth se bat quotidiennement contre la stigmatisation liée à sa séropositivité et malgré son engagement, elle n’est pas en capacité de témoigner à visage découvert car certaines personnes de son entourage ignorent qu’elle vit avec le VIH : « Actuellement, j'ai un petit ami et il est séronégatif. Il sait que je suis séropositive, mais ses parents ne le savent pas et ça m’inquiète. Quand j’ai rencontré mon copain, il ne connaissait pas U = U [Indétectable = Intransmissible, ndlr], j’ai dû l’éduquer sur le VIH », explique la jeune femme. Ruth souhaite faire passer un message aux jeunes vivant avec le VIH qui vont lire son entretien : « Le VIH est différent du sida. Et quand le VIH est traité, il ne peut pas évoluer en stade sida, donc le VIH ne tue pas. Je conseillerais à tout le monde de se faire dépister car si vous n'êtes pas testé, vous ne pouvez pas connaitre votre statut. Cela signifie que vous ne pouvez pas vous protéger du VIH. Donc continuons à utiliser ces outils de prévention du VIH pour rester en bonne santé. Et si vous apprenez que vous êtes séropositif, ce qui est fait est fait et on ne peut pas revenir en arrière alors il faut aller de l’avant et prendre un traitement. Soyez un exemple de changement en contribuant à mettre fin au sida d'ici 2030. Tant que nous sommes déterminés à mettre fin au sida, je pense que chacun a un rôle à jouer dans cela. Si vous avez un partenaire séropositif et que vous êtes négatif, soutenez-le pour mettre fin au sida. Si votre partenaire a une charge virale indétectable, il pourra rester indétectable grâce à votre soutien. S’il n’est pas encore indétectable, il y a des outils comme le préservatif ou la Prep. Le seul objectif que nous avons, c'est voir de moins en moins de personnes contracter le VIH », conclue Ruth. Plus détendue à la fin de notre entretien, la jeune militante feuillette Remaides. Elle ne souhaite pas être prise en photo, mais elle nous remercie de lui donner la parole. C’est nous qui la remercions d’avoir partagé son histoire.

 

Il m’a dit que j’étais une abomination, une malédiction

Retour à l’hôtel. Notre collègue Alana Sharp (chercheuse en santé publique basée à Washington DC, États-Unis) enchaine les entretiens individuels pour l’étude Rise. La plupart se font directement à l’hôtel, dans un petit salon privé. D’autres se font en visio pour les personnes qui ne sont pas à Kampala. Une synthèse de ces entretiens sera présentée en décembre. Pendant ce temps, je file à ma chambre me préparer pour un entretien en visio. Kuraish m’a donné le contact de Léticia, une activiste née avec le VIH qui se définit comme une « jeune femme queer et travailleuse de sexe ». L’entretien se fait en visio car Léticia a dû fuir l’Ouganda suite à la récente loi anti-homosexualité. Pour des raisons de sécurité, elle ne souhaite pas préciser le pays dans lequel elle se trouve actuellement. Pour les mêmes raisons, sa caméra n’est pas activée. L’activiste fait aussi du plaidoyer pour les jeunes filles et jeunes femmes vivant avec le VIH qu’elle représente au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, mais pas dans le cadre du CCM. « Être une travailleuse du sexe en Ouganda n’est pas du tout facile, encore plus quand on vit avec le VIH. J’ai 27 ans et je ne rentre pas dans les cases de notre culture. Il y a le poids de la religion et le poids de la famille. En Ouganda, une femme est censée se marier et avoir des enfants et ce n’est pas mon projet de vie, à ce stade. Dès que tu sors de ce cadre normatif, tu es pointée du doigt. Le travail du sexe, c’est un travail comme un autre. C’est un échange de services. Je loue mon corps contre de l’argent. Mais la culture et la législation ougandaise répriment le travail du sexe », déplore Léticia.

Pour la jeune activiste qui appartient à la communauté LGBT+, l’impact de la loi anti-homosexualité, votée en mai dernier, a eu des conséquences dramatiques sur sa vie et celles des personnes de sa communauté : « Je cherche actuellement à rester dans un autre pays. J'ai été expulsée de chez moi en juin. Je ne m’y attendais pas. J'étais partie du pays et quand je suis revenue, mon propriétaire m’a dit que d’autres personnes vivaient chez moi et que je ne pouvais pas revenir. Il m’a dit que j’étais une abomination, une malédiction et que j’étais une mauvaise influence pour les enfants donc il ne voulait pas de ce genre de choses dans ses maisons. Et vous savez, le plus drôle, c'est que vous ne pouvez même pas porter plainte à la police, parce que la police elle-même est influencée par les lois homophobes qui existent dans notre pays. Je ne peux même pas accéder librement aux services de la clinique de santé parce que je ne me sens pas à l'aise. Comment puis-je maintenir mon accès au traitement VIH, aux antirétroviraux, si j’ai peur de me faire arrêter ? J'ai dû chercher un endroit où vivre chez un ami pendant un court moment. Heureusement, j'ai reçu une invitation pour voyager dans un autre pays et j'ai pensé que ce serait peut-être une opportunité pour moi de rester dans ce pays et peut-être de faire une demande d’asile ».

Nous continuerons à défendre nos droits

Léticia ne cache pas ses inquiétudes sur la situation actuelle en Ouganda : « Je suis née avec le VIH. J'ai donc réalisé assez tôt dans ma vie les nombreux défis auxquels les personnes vivant avec le VIH sont confrontées, comme l'accès au traitement, les difficultés à l'école et la stigmatisation et la discrimination de la part des communautés, des familles et des églises. Les personnes LGBTQ+ en Ouganda subissent de nombreuses violations des droits humains et des discours de haine. La situation est très triste, les personnes trans sont parfois déshabillées en public pour exposer leur identité. C'est déchirant. Nous devons revoir nos politiques et décriminaliser l’homosexualité. Quand la loi vous considère comme fautif, la société vous considère de même. En Ouganda, beaucoup de personnes se déplacent en motos. Certaines personnes peuvent commettre des actes de violence très rapidement en moto. Comment expliquer à ces personnes qu'elles ne devraient pas me tuer, que j'ai des droits, quand la loi elle-même semble encourager la violence ? Nous voyons les donateurs quitter le pays. Récemment, j'ai vu que la Banque mondiale voulait se retirer [lire article 3 lien : à ce sujet, ndlr], et j'ai également vu que les bureaux du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme avaient fermé. Nos organisations, celles où nous pouvons accéder à des services, comme des cliniques communautaires, ferment. Cela me préoccupe beaucoup, car en Ouganda, la plupart des organisations dépendent des dons étrangers, du Fonds mondial, du Pepfar [programme américain de lutte contre le sida dans le monde] et d'autres donateurs. Quand les donateurs voient un environnement comme celui-ci, ils s'inquiètent et retirent leurs dons du pays » explique l’activiste. Malgré toutes ces embuches, Léticia reste combative et espère que la situation va changer : « Nous continuerons à défendre nos droits, à lutter contre la violence envers notre communauté. Nous sommes reconnaissants du soutien de nombreux pays et communautés. Nous ne nous arrêterons pas. Nous continuerons à vivre nos réalités et nous travaillerons dur pour tout ramener dans le droit chemin, même si cela prend des années ». Un courage et une combativité qui forcent le respect.

 

La Banque mondiale se retire

Mercredi 9 août 2023, après une visite rapide du CCM, nous avons rendez-vous à notre hôtel avec Kennedy Otundo, le directeur du Uganda Network of Aids Service Organisations (Unaso - Réseau ougandais d'organisations de services liés au sida). L'Unaso est une organisation créée en 1996 pour assurer la coordination, la représentation et la mise en réseau entre les organisations de la société civile afin d'améliorer la prestation des services liés au VIH/sida en Ouganda. Le réseau compte plus de 200 organisations membres et dispose de réseaux opérationnels décentralisés pour le VIH dans plus de 50 districts à travers tout le pays.

Hasard du calendrier, hier, deux annonces concernant l’Ouganda et la loi anti-homosexualité ont beaucoup fait parler. Dans un communiqué publié le 8 août, la Banque mondiale a annoncé qu’elle ne financerait plus de nouveaux projets en Ouganda à la suite de la promulgation en mai de la loi anti-homosexualité 2023. L’institution a estimé que ce texte « allait fondamentalement à l’encontre des valeurs de la Banque mondiale » (BM), ajoutant que dans ces conditions aucun nouveau financement public pour l’Ouganda ne serait présenté à son conseil d’administration. « Nous pensons que notre objectif d’éradication de la pauvreté dans une planète vivable n’est atteignable que s’il inclut tout le monde, quelle que soit l’ethnie, le genre ou l’orientation sexuelle. Cette loi remet en question ces efforts », a justifié la BM. Le président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 avait déclaré au moment du vote de la loi : « personne ne nous fera bouger ! »

La même journée, le ministère de la Santé ougandais a publié un communiqué de presse qui annonce que « les services de santé doivent être accessibles et fournis à toutes les personnes sans discrimination de genre, de religion, de statut économique ou social ou d’orientation sexuelle. Tous les prestataires de soins de santé sont vivement encouragés à NE PAS discriminer/refuser leurs services à aucun patient ». Un communiqué qui a suscité de nombreuses réactions ironiques et agacées d’activistes ougandais-es sur Twitter. Quelques exemples : « De bonnes intentions, mais il serait encore mieux d'abroger l'intégralité de la loi [anti-homosexualité], étant donné qu'elle a été adoptée sur la base de théories du complot », rétorque le Dr Frank Mugisha (activiste ougandais pour les droits LGBT+ qui a reçu pour son engagement le Prix Robert F. Kennedy des droits de l'homme et le Prix Rafto avec l'organisation Sexual Minorities Uganda en 2011) ; « Les subventions provenant de Pepfar et d'autres sources qui ont été refusées jusqu'à présent vous poussent à réagir. Vous avez oublié de vous opposer à l'AHA23 [sigle de la loi anti-homosexualité, ndlr], qui contient des articles tels que ceux-ci. #AbrogerAHA23 », ironise Steven Kabuye (activiste ougandais pour les droits humains) ; « Le Parlement a adopté une loi vraiment mauvaise, le ministre de la Santé l'a saluée en disant qu'elle protégerait notre culture, et maintenant le ministère publie ce communiqué. Quelle loi le ministre saluait-il ? #AbrogerAHA23 », souligne la Dre Catherine Kyobutungi (épidémiologiste ougandaise qui occupe actuellement le poste de directrice exécutive du Centre africain de recherche sur la population et la santé). Des dizaines de tweets de ce genre qui montrent qu’une partie de la société civile ougandaise n’est pas dupe face à ce qui ressemble plus à une opération de communication du ministère de la Santé ougandais pour « sauver les meubles » (comprendre ne pas couper les subventions internationales comme Pepfar, le plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida financé par les États-Unis) qu’une réelle prise de position sociétale.

Les grands-es perdants-es ? La communauté LGBT+

Dans ce bras de fer diplomatique entre l’Occident et les autorités ougandaises, les grandes perdantes restent les personnes concernées par cette loi : la communauté LGBT+ et les structures médicales et associatives qui tentent de les aider. La réduction des aides par les bailleurs internationaux est très inquiétante, explique Kennedy Otundo, le directeur du Uganda Network of Aids Service Organisations (Unaso) : « Un certain nombre d'organisations impliquées dans la réponse au VIH dans ce pays ont reçu des financements de la part d'institutions qui financent les aides à la communauté LGBT afin de s'assurer qu'elles abordent l'impact du VIH au sein de cette communauté, et surtout pour les aider à avoir accès aux services et à prévenir le VIH au sein de ce groupe. Mais dès que le président a signé la loi anti-homosexualité, la plupart de ces organisations ont cessé de recevoir des financements. Certaines de ces organisations qui sont membres de mon réseau, ont mis en place des centres d'accueil, où cette population clé venait pour récupérer les antirétroviraux, ceux atteints de la tuberculose venaient aussi pour le traitement. Et depuis que la loi est entrée en vigueur, les personnes identifiées dans ce groupe ont peur de se présenter pour le traitement, et les organisations qui offraient les services ont également cessé de les proposer à ce groupe en raison de la stigmatisation ».

Le directeur d’Unaso ne cache pas ses inquiétudes sur l’impact de l’éloignement du soin des personnes LGBT+ sur la santé publique du pays : « Nous avons ceux qui sont positifs à la tuberculose et qui peuvent propager l'infection parce qu'ils doivent désormais agir dans la clandestinité, et puis ceux qui ont le VIH risquent de ne plus venir pour renouveler leurs médicaments, ou faire les tests de charge virale, et il est fort probable qu'on voie apparaître des résistances aux médicaments chez certains d'entre eux. Un autre impact a été du côté de la prévention, les activités que certaines structures de santé menaient, comme la distribution de matériel de prévention ou l'organisation d'ateliers ont complètement cessé, et maintenant de nouvelles infections pourraient survenir, car les outils de prévention ne parviennent plus aux personnes les plus exposées ».

Je demande à Kennedy Otundo ce qu’il pense du communiqué du ministère de la Santé rendu public hier : « Ce qu'ils ont fait est louable. Cependant, dans ce pays, on accorde beaucoup d'importance à ce que disent les politiciens. L'idée est bonne, mais le défi, ici, est que de nombreuses structures de santé craignent que leur agrément soit révoqué parce qu'elles sont perçues comme soutenant la communauté LGBT. Or, ce sont ces mêmes institutions qui offrent des services à cette communauté. Si ces organisations ne fonctionnent pas, où est-ce que cette population clé pourrait-elle se tourner pour obtenir des services ? », se demande le directeur d’Unaso.

Une loi à éclaircir

Pour Kennedy Otundo, un aspect important de la loi est à éclaircir pour permettre aux structures de santé de pouvoir travailler avec plus de sérénité : « Les rumeurs sur le terrain disent que si vous soutenez les personnes LGBT, vous serez arrêté. Donc la définition du soutien doit être très clairement définie. Si je donne un médicament, des ARV, à une personne LGBT, est-ce que c'est considéré comme du soutien ? Ou qu'est-ce que c'est ?. C'est déroutant. De plus, les principaux dirigeants du pays, en particulier le président, devraient s'exprimer et peut-être dire aux professionnels de santé qu’ils ne doivent pas craindre d'être arrêtés. Car si j'autorise les personnes LGBT à venir chercher des services dans ma clinique, est-ce que je fais la promotion de l’homosexualité ou est-ce que je fournis des services ? Le gouvernement, et, en particulier, les politiciens, devraient être en mesure de s'exprimer très clairement à ce sujet. Et si possible, ils devraient s'asseoir avec la société civile pour montrer qu'il y a de l'harmonie dans tout cela », explique le directeur d’Unaso.

La voie diplomatique pour changer la loi ?

Comment sortir de cette impasse politique et judiciaire et quelles sont les recours possible ? « En tant que membre de la société civile, nous avons bien sûr fait appel et l'affaire est toujours en cours devant les tribunaux. Cependant, nous utilisons également une voie diplomatique, sous la coordination de l'Unaso. Nous ne pouvons pas affronter ces problèmes de front, nous pouvons le faire de manière diplomatique. Nous nous sommes donc réunis sous la direction de l'Unaso pour préparer une déclaration que nous voulons présenter aux ministres, aux membres du gouvernement, pour discuter de l'impact de la loi et comment nous pouvons atténuer cet impact, afin de continuer à contribuer à l'initiative présidentielle visant à mettre fin au sida d'ici 2030 », explique Kennedy Otundo. « Le projet de déclaration a été élaboré, les organisations de la société civile vont se réunir pour l'examiner et établir un plan d'action. Les ministres sont également en attente. Dès que la société civile aura finalisé le document, nous préparerons un ordre du jour que nous partagerons avec le ministre de la Santé. Celui-ci invitera ensuite ses collègues ministres à une discussion. Les conclusions de cette discussion seront ensuite transmis au président pour examiner ce que nous pouvons changer pour rendre l'environnement favorable à ceux qui fournissent des services à cette population clé, et à la population clé qui a besoin de services, mais qui a peur de les demander en raison de la stigmatisation et de la discrimination ». En d’autres mots, une voie diplomatique qui permettrait un sas sécurisé afin que les membres de la communauté LGBT+ puissent avoir accès à des services de santé sans craindre de se faire arrêter.

« Je pense que l'approche diplomatique est une bonne chose, car parfois les politiciens adoptent des lois sans comprendre leurs implications. Ils doivent connaître les principaux acteurs sur le terrain, ce qu'ils traversent, et impliquer la société civile. Si la société civile n'est pas activement impliquée, les politiciens peuvent adopter une loi qui deviendra plus tard un problème pour le pays. Je pense que l'approche diplomatique permet à la société civile de partager les bonnes informations avec les décideurs politiques. Ces derniers auront alors une analyse de la situation, et dans une certaine mesure, ils pourront peut-être abroger certaines lois. Ils pourraient se rendre compte que certaines choses pourraient ne pas être bonnes et qu'il est nécessaire d'avoir une compréhension approfondie pour élaborer une loi de manière adéquate », conclue Kennedy Otundo.

Une communauté par la communauté

Jeudi 10 août, direction le Ark Wellness Hub, un centre de santé sexuelle destinée aux personnes LGBT+. Située dans le quartier touristique et commercial de Kololo, la clinique n’est pas facile à trouver quand on vient pour la première fois. Aucune pancarte, aucun signe extérieur qui indiquerait un lieu de santé sur les façades des immeubles, encore moins un lieu LGBT+. Nous demandons notre chemin à des habitants-es du quartier qui semblent ne pas connaitre l’existence de ce lieu. Finalement, une vieille dame assise à l’entrée d’un immeuble nous confirme que nous sommes dans le bon bâtiment et nous indique qu’il faut monter au dernier étage. Une fois arrivés devant la porte du Ark Wellness Hub, nous sonnons. Un jeune homme nous ouvre. Il semble surpris de notre présence. Il est 10 heures du matin et la salle d’attente est vide. Nous lui expliquons que nous avons rendez-vous avec Brian, le directeur du centre de santé. Ouvert en 2019, le centre suit plus de 4 300 usagers-ères issus-es de la communauté LGBT+ (dont 87 % d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), avec une équipe de huit personnes. Le lieu est beau, épuré avec au mur de grandes affiches qui font la promotion du dépistage du VIH et des IST, de U = U, de la Prep, mais aussi de la santé mentale. Au mur, une pancarte qui liste les valeurs du centre : transparence, inclusivité, confidentialité et responsabilité et un slogan : « Une communauté par la communauté ». Aux toilettes, un signe indique « Toilettes non genrées ». L’espace a clairement été imaginé et conçu pour que tous-tes les membres de la communauté LGBT+ s’y sentent bien ; un « safe place » (lieu sécurisant) dans une société ougandaise souvent très hostile à cette communauté. Isaac, le secrétaire médical, nous explique pourquoi le centre n’est pas du tout indiqué à l’extérieur : « Quand une personne de la communauté LGBTQ vient au centre et qu’elle ne voit pas d'enseigne, cela offre une certaine sécurité, car les personnes ne peuvent pas entrer à moins d'être dirigées par l'un de nous. Quand on ne connait pas le lieu, de l’extérieur il est impossible de deviner qu’il s'agit d'une clinique LGBTQ. Nous essayons de garder ça discret pour des raisons de sécurité et de confidentialité. La raison pour laquelle nous avons choisi ce quartier est qu'il est, en quelque sorte, exempt de stigmatisation. Il attire de nombreux étrangers et locaux. La plupart des personnes de ce quartier sont là pour travailler. Elles ne se mêlent pas des affaires des autres ».

Est-ce que la fréquentation du centre a diminué depuis le vote de la loi homophobe en mai : « Étonnamment, dans notre cas, lorsque les chiffres ont diminué, en particulier pour les consultations sans rendez-vous, le trafic général n'a pas diminué. La plupart des cliniques ont fermé, mais la nôtre est restée ouverte. Donc, les chiffres n'ont pas baissé. Nous avons mis en place un mode alternatif de prestation de services qui est la télémédecine. Nous avons dit à nos usagers, si ce n'est pas sûr pour vous de venir, nous pouvons venir à vous. Nous pouvons vous fournir le service. Ainsi, le nombre de consultations sans rendez-vous a diminué, mais grâce à la mise en œuvre de la télémédecine, nous continuons à rencontrer nos usagers et à les maintenir dans les soins. Si quelqu'un a besoin d'une ordonnance de Prep par exemple, nous pouvons l'envoyer par mail sans qu'ils aient à se déplacer » explique Isaac.

 

Des espions dans la salle d’attente !

Brian arrive quelques minutes plus tard. Tout sourire, le directeur du Ark Wellness Hub nous souhaite la bienvenue chaleureusement. Brian accepte de répondre à nos questions et nous autorise à prendre des photos de la clinique, mais pas les visages des membres de l’équipe afin de ne pas les exposer à un risque potentiel en raison de la loi anti-homosexualité en vigueur dans le pays depuis le mois de mai dernier.

« La raison d’être de ce centre est que nos communautés ont du mal à accéder aux services de santé publics de santé. Pour ceux qui le peuvent, il faut toujours se cacher ou trouver quelqu'un de compréhensif. Le contexte en Ouganda est que de nombreuses structures de santé publiques sont fondées par des églises. C'est pourquoi vous entendez beaucoup de débats sur les contraceptifs, les préservatifs, les lubrifiants. Vous ne pouvez pas aborder ces sujets dans l'église catholique, par exemple. Il va de soi qu'il est très difficile d'accéder à ce type de services dans certaines structures publiques. Nous avons donc décidé et pensé que nous avions besoin d'un espace capable de fournir ce type de services », explique Brian.

Le directeur du Ark Wellness Hub souligne également l’importance de recueillir des données en recherche clinique pour alimenter le plaidoyer en faveur de la santé sexuelle des personnes LGBT+ en Ouganda : « Nous devons être en mesure d'obtenir des données que nous pouvons utiliser pour plaider en faveur du changement. Nous pouvons l'utiliser pour montrer aux parties prenantes qu'il y a un besoinici, qu'il y a un fossé, qu'il y a des preuves que c'est un problème. Mais nous voulons aussi être comme une clinique modèle, un centre modèle, où les chercheurs peuvent venir travailler car il leur sera difficile de mener une étude de recherche dans une structure publique. La recherche nous aide aussi, d'une certaine manière, à améliorer les soins, car depuis notre ouverture, nous avons réalisé qu'il y a tellement de problèmes dans la communauté qui doivent être traités. Par exemple, les vaccins contre le virus du HPV sont administrés aux jeunes filles de moins de huit ans en Ouganda, mais nous constatons que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en ont également besoin, de même que les personnes transgenres. Nous pensons que si nous sommes en mesure de développer la recherche, nous pouvons utiliser cette recherche pour plaider auprès du gouvernement pour dire, vous savez quoi, nos communautés ont également besoin de ce type de vaccin ».

Nous demandons à Brian dans quelle mesure la loi anti-homosexualité a impacté la communauté LGBT+ en Ouganda ces derniers mois : « On ne peut pas légiférer sur le comportement des gens. Parce que, que vous le vouliez ou non, les gens vont quand même se rencontrer. La peur est là, oui, mais même lorsque vous avez peur, vous trouvez un moyen de faire des rencontres. C’est la nature humaine. Les gays continuent d’aller sur Grindr [appli de rencontres gays, ndlr], même si ce n'est toujours pas très sûr. Des agents de police créent parfois de faux profils sur les applis pour piéger des homosexuels. Je ne dirai pas de ne plus utiliser ces applis, mais soyez extrêmement prudents. Heureusement, il y a aussi des structures communautaires comme la nôtre sur Grindr qui font de la prévention et de l’entraide en cas d’alerte de sécurité. Si quelqu'un a été kidnappé, comment pouvez-vous aider? Si quelqu'un a été arrêté, qui est en mesure de répondre ? »

La loi anti-homosexualité a également eu un impact direct sur l’activité du Ark Wellness Hub comme nous l’explique Brian : « Nous recevions des usagers et nous avions peur de les traiter car on ne savait pas s'il s'agissait d'un espion ou d'un vrai usager. Parce que vous voyez une personne pour la première fois, elle s’assoit et observe autour d'elle, lit tout. Et ensuite, vous commencez à paniquer, en vous disant que cette personne doit être un espion. Il s’est avéré que certaines personnes se sont vraiment fait passer pour des usagers pour nous espionner ! Quand la loi a été débattue au Parlement, les usagers ont arrêté de venir ici. Ils avaient tellement peur car tout le monde en parlait sur les réseaux sociaux, même les comptes TikTok en parlaient tout le temps ! Même au téléphone, ils avaient peur de parler au médecin car ils ne savaient pas si quelqu'un écoutait leurs appels. Nous avons dû changer notre façon de travailler en mettant en place la télémédecine et nous avons également cherché des moyens d'avoir une clinique mobile. Mais après que la loi a été adoptée, nos chiffres ont augmenté car les membres de notre communauté avaient peur de se rendre dans des établissements de santé publics. Ils préféraient venir chez nous même si c'était loin. Un jour, quelqu'un m'a dit, qu’il avait fait trois heures de bus pour venir à la clinique ! »

Un communiqué utile, mais pas suffisant

Il y a deux jours, le ministère de la santé de l’Ouganda a publié un communiqué de presse qui annonce que « les services de santé doivent être accessibles et fournis à toutes les personnes sans discrimination de genre, de religion, de statut économique ou social ou d’orientation sexuelle. Tous les prestataires de soins de santé sont vivement encouragés à NE PAS discriminer/refuser leurs services à aucun patient ». Nous demandons à Brian s’il souhaite commenter cette annonce qui a fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux : « C'est une avancée positive. En fait, c'est quelque chose que nous avons dû pousser entre l'Onusida, l'Organisation mondiale de la santé et Pepfar [le plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida financé par les États-Unis, ndlr]. Le ministère de la Santé a été appelé à intervenir en raison de l’impact de la loi anti-homosexualité sur les services de santé. Cependant, le ministère a d'abord refusé, car le ministre de la santé soutenait cette loi. Mais le Directeur général des services de santé a affirmé qu'il avait le pouvoir de le faire car cela affectait la prestation des services. Ils ont donc fini par publier ce communiqué. À mon avis, c'est un outil que nous pouvons utiliser pour notre protection. Cela s'avère très utile et j'accueille cette initiative positivement. Néanmoins, cela met en avant une question plus large que nous avons toujours soulevée : nous ne savons pas quelle est véritablement la position du gouvernement. Un jour, une loi criminalise quelque chose, et le lendemain, on nous dit le contraire ! Ce communiqué crée aussi de la confusion, car, en ce moment, n'importe qui peut l'utiliser à n'importe quelle fin. La loi en vigueur demeure inchangée. Elle reste la loi suprême du pays. En fin de compte, cela dépend de qui vous approche avec cette déclaration. Je pense que c'est une bonne chose, un outil de protection, mais je ressens également que ce n'est pas suffisant. Il faudrait que cette loi soit abrogée, car elle touche toutes les facettes de la société, pas seulement les prestataires de santé » souligne Brian.

Les pouvoirs publics doivent être tenus responsables de leurs actions

Autre sujet d’actualité, nous demandons au directeur du Ark Wellness Hub (financé en partie par Pepfar, le Plan d'urgence américain de lutte contre le sida) ce qu’il pense du récent communiqué, de la Banque mondiale qui a annoncé qu’elle ne financerait plus de nouveaux projets en Ouganda à la suite de la promulgation en mai de la loi anti-homosexualité : « Je dirais honnêtement que je salue cette annonce de la Banque mondiale car les pouvoirs publics doivent être tenus responsables de leurs actions et il devrait y avoir des répercussions lorsque les droits humains sont violés. Cependant, le plus gros problème avec cela est que cela n'affectera pas le gouvernement, mais plutôt la population. En effet, le gouvernement a des ressources pour payer les salaires et continuer à vivre normalement. De notre côté, nous ne savons pas s'il y aura des médicaments dans les hôpitaux ni si la prévention va pouvoir continuer. Nous dépendons tellement de ces fonds. Cependant, cela serait triste si l'Ouganda perdait ce genre de soutien, surtout pour les communautés qui devront faire face aux conséquences des actions gouvernementales. Donc oui, c'est une déclaration forte et je suis personnellement content que quelqu'un ait pris position, mais peut-être qu'ils auraient pu cibler directement le soutien aux secteurs spécifiques. En fin de compte, ces fonds soutiennent la population. Si les institutions gouvernementales continuent de fonctionner, elles ne ressentiront pas l'impact négatif. Notre centre est également concerné. Pepfar a dit qu'il allait suspendre les discussions jusqu'à ce qu'une voie claire soit trouvée. Puis, la semaine dernière, ils ont dit qu'ils allaient approuver le budget Pepfar. Alors je me demande, comment pouvez-vous approuver un budget Pepfar pour des activités qui sont déclarées illégales ? »

Lorsqu’une loi est annulée, l'homophobie ne disparaît pas avec elle

Un recours en justice contre la loi anti-homosexualité est en cours, mais jusqu'à présent, il n'y a aucune indication que les pouvoirs publics ougandais aient l'intention de revenir sur cette loi. Que peut espérer la communauté LGBT+ ougandaise dans ce contexte ? « Je reste optimiste, tout comme en 2014 [une précédente mouture de cette loi avait été annulée en 2014 pour vice de procédure, ndlr]. Il y a suffisamment d'éléments en notre faveur. Nous sommes mieux organisés qu'en 2014. Cependant, le plus grand problème ici, à mon avis, ne réside même pas dans la loi. Même si la loi est abrogée, les dégâts ont déjà été causés. Dès que le débat sur la loi a commencé, des personnes LGBT ont été frappées et harcelées, et cela bien avant son adoption. Les communautés étaient déjà radicalisées. Et lorsqu'une communauté est radicalisée, même si la loi est annulée, le mal est fait car vous avez déjà autorisé chacun à faire ce qu'il veut. Lorsqu’une loi homophobe est annulée, l'homophobie ne disparaît pas avec elle. Vous les avez déjà autorisés à propager la haine. Je pense que cela prendra du temps pour que ces choses commencent à disparaître. Nous espérons quand même qu’elle sera abrogée, cela nous permettra au moins de répondre légalement à certaines de ces situations. Si quelqu'un est victime de violences, vous pouvez saisir la justice. Cependant, actuellement, même si une personne se fait frapper, si elle dit qu’elle est homosexuelle, aux yeux de la loi, elle reste une criminelle. Il n'y a donc aucun moyen de la défendre. Aujourd’hui, étant donné que les législateurs et les forces de l'ordre sont homophobes, vous ne pouvez signaler personne. En cas d’agression, vous ne pouvez pas déposer une plainte auprès de la police car c'est la même police qui vous a arrêté ! Comment pensez-vous qu'ils vont vous protéger ? Nous constatons donc que nos plaintes ne sont même pas enregistrées par la police. Lorsque vous interrogez la police sur le nombre de personnes victimes de violences, elle n’a aucun chiffre. Nous devons aller dans les communautés pour comprendre l'ampleur du problème. Les dégâts ont donc déjà été causés dans la communauté. Inverser la situation prendra du temps. Cela ne peut pas se faire en six mois. Car c'est comme lorsqu'une maison est détruite, vous devez la reconstruire », explique Brian.

La loi anti-homosexualité a également installé un climat de méfiance vis-à-vis du centre de santé que dirige Brian : « Nos partenaires avec qui nous travaillions se sont éloignés de nous. Certains nous demandent de les retirer de notre site Web. « S'il vous plaît, ne publiez pas nos informations », nous disent-ils. Nous obtenons des préservatifs, des lubrifiants, des médicaments dans les établissements publics. Et maintenant, tout le monde a peur de les distribuer. Personne ne veut être celui qui signe. Personne ne veut être responsable de soutenir ce genre de personnes, car la loi pourrait se retourner contre eux. Inverser ce que la loi a causé prendra beaucoup de temps. Mais, oui, nous gardons espoir et nous avons besoin du soutien de la communauté internationale. Lorsque vous publiez un article et que quelqu'un le commente, cela transforme la situation locale en un problème mondial de violation des droits humains », souligne l’activiste. Après cet échange très riche, nous posons pour quelques photos souvenirs puis nous laissons quelques billets dans une boite à dons. Le lendemain, nous recevons un message de Brian sur Whatsapp : « Merci pour votre don, il nous a permis d’acheter un distributeur d’eau pour la clinique ».

 

Un atelier pour des jeunes vivant avec le VIH

Vendredi 11 août 2023, quelques heures avant de prendre l’avion pour retourner en France, Kuraish, notre guide et hôte à Kampala, tient à nous emmener sur un dernier lieu qui lui tient à cœur. Situé dans le quartier de Bugoloobi, le Kiswa Health Centre est un centre de santé destiné aux jeunes exposés-es au VIH ou vivant avec. Ici, les jeunes de 10 à 24 ans peuvent faire des dépistages VIH et IST, leurs bilans sanguins, récupérer leur traitement VIH ou Prep mais aussi assister à des ateliers sur la santé sexuelle et reproductive animés par des éducateurs-rices pairs-es.

« Mingle, mingle mingle ! » (« Mélangez-vous, mélangez-vous, mélangez-vous ! ») crie l’éducatrice paire. Devant elle, une vingtaine de garçons âgés de 10 à 20 ans. Ils ne se connaissent pas forcément, mais ils sont tous nés avec le VIH. Certains sont orphelins suite au décès de leurs parents des suites du sida. Les garçons/jeunes hommes se mélangent. Ils ont tous un morceau de papier à la main et un crayon. À chaque fois que l’éducatrice crie « stop ! », ils se figent et doivent échanger le bout de papier qu’ils ont entre les mains avec le garçon qui est à leur droite et dessiner une partie du visage de ce garçon. « Mingle, mingle mingle ! » crie de nouveau l’éducatrice, puis « stop ! » et hop, ils doivent de nouveau échanger le morceau de papier et dessiner une autre partie du visage du garçon à leur droite. À la fin de ce jeu qui est destiné à briser la glace dans le groupe, chaque garçon doit reconnaitre son portrait ce qui fait beaucoup rire en général.

Cet atelier est destiné à réduire la stigmatisation liée au VIH chez les jeunes garçons/jeunes hommes vivant avec le VIH. Il est proposé une fois par mois et animé par des membres de Uganda Young Positives (UYP), l’organisation dont Kuraish est le directeur. Après ce petit jeu, place à un cours participatif sur les bases du VIH/sida. L’éducatrice paire demande aux garçons ce qu’ils savent des différences entre VIH et sida, ce que signifient ces acronymes, quelles sont les modes de transmission du virus, quels sont les outils de protection ? L’ambiance est bonne. Les plus timides restent en retrait, mais la plupart se prêtent facilement au jeu des questions/réponses.

À la demande de l’éducatrice paire, à notre tour de nous présenter devant le groupe. Avec mon collègue Léo, nous nous tenons debout face aux jeunes et répondons à trois questions : Quel est votre métier, dites une chose que vous aimez et une chose que vous détestez. En me présentant, je confie aimer beaucoup la musique de Michael Jackson « depuis tout petit, le même âge que vous », ce qui fait rire les jeunes. La glace est brisée.

De jeune usager à pair éducateur

Kuraish nous présente Felix, un jeune éducateur pair de 24 ans qui travaille depuis trois ans au Kiswa Health Centre : « Je suis né avec le VIH. J'étais enfant quand on me l’a annoncé. Quand j’étais petit, c’est mon père qui s’est occupé de mon frère et moi car ma mère est morte lorsque j'étais encore à la maternelle », raconte Felix. Le jeune homme était usager au Kiswa Health Centre quand il était enfant/ado et il a pu directement bénéficier des services du lieu où il est aujourd’hui salarié. « J'ai commencé à fréquenter mon premier établissement de santé ici à Kiswa. Mon père avait l'habitude de m'accompagner à la clinique et de me rappeler l'heure pour prendre mon traitement. J'ai rejoint le centre pour adolescents lorsque j'avais 14 ans. J'ai été transféré de l'établissement principal en tant que jeune personne pour rejoindre le centre pour adolescents afin d'y être pris en charge et de recevoir mes médicaments à partir d'ici ».

En 2019, Felix participe à un séminaire organisé au Kiswa Health Centre, le Camp Engage, avec des jeunes de différents quartiers de Kampala : « Il y avait des sessions sur la santé reproductive et sexuelle. C'est à partir de là que j'ai eu l'envie de travailler avec les jeunes. J'ai consulté mon clinicien qui me suivait ici. Il m'a dit que si j'étais intéressé, il n'y avait pas de problème. Il me suffisait de suivre des formations et d’avoir l'esprit de partage et de soutien envers mes pairs. J'ai été invité à de nombreuses sessions sur la santé sexuelle et reproductive. Avant cela, je m'occupais uniquement d'art ».

En quoi consiste son travail d’éducateur pair ? : « Nous nous réunissons chaque samedi. Et nous abordons différents sujets avec les jeunes. Cela va de la grossesse chez les adolescentes à la prévention des IST et du VIH/sida, mais aussi les violences basées sur le genre et la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduction. Notre rôle en tant que jeunes pairs communautaires est d’informer ou orienter les jeunes. En tant qu'éducateur pair, c'est aussi mon rôle de susciter la demande de dépistage du VIH. Et en parlant des services de dépistage du VIH, vous évoquez aussi d'autres outils de prévention comme la Prep ou le TPE [Traitement post exposition, ndlr]. Vous expliquez cela en détail. Pour ceux qui ne comprennent pas, vous les invitez à des discussions en tête-à-tête s'ils ont encore des questions. Nous avons également un numéro sans frais que les jeunes peuvent appeler en cas de questions. Il y a toujours un conseiller pour répondre » explique Felix.

La stigmatisation était très forte à l'époque

Quid de la sérophobie. Quel est le niveau de stigmatisation actuel pour les personnes vivant avec le VIH ? « Il y a un espace pour les jeunes séropositifs. Parce qu'ils étaient auparavant suivis à la clinique pour adultes. Mais à cette clinique, il n’y a qu'une seule journée dédiée aux jeunes et aux adolescents, alors qu’ici, nous avons une semaine entière, du lundi au vendredi. C'est ouvert à tous les jeunes, qu'ils soient positifs ou négatifs. Et ils s'assoient tous ensemble. Ils ne sont pas isolés. Ils suivent la même procédure. Inscription, zone d'attente. Ils consultent différents cliniciens à chaque fois qu'ils viennent. Donc, il n'y a aucune question de la part de qui que ce soit et aucune stigmatisation. La stigmatisation était très forte à l'époque, mais aujourd’hui, ça va mieux. On en parle ouvertement. On sensibilise tout le monde. Nous avons mis en place différentes initiatives dans la communauté pour discuter du VIH. À l'établissement de santé, nous organisons des discussions sur la santé où nous parlons du VIH. Chaque discussion sur la santé est accompagnée d'informations sur le VIH. Si vous parlez de la grossesse chez les adolescentes, vous évoquez aussi le VIH. Si vous parlez de la violence basée sur le genre, vous évoquez aussi le VIH. Ainsi, cela devient une norme créée pour que tout le monde se sente à l'aise avec le sujet. Même s'ils sont séronégatifs, ils sont encouragés à soutenir leurs amis s'ils découvrent qu'ils sont séropositifs. Et à les orienter vers des services. Nous expliquons U = U [Indétectable = Intransmissible, ndlr] la plupart du temps aux couples. Certains d'entre eux rencontrent des problèmes dans leurs relations, alors nous essayons de leur expliquer les bénéfices de U = U parce que cela peut les motiver à suivre le traitement », explique Felix.

Avoir le VIH n'est pas un crime ni une honte !

Avant de repartir à ses occupations, Felix a un message à faire passer : « Les personnes vivant avec le VIH devraient être fières d'elles-mêmes. Avoir le VIH n'est pas un crime ni une honte ! Et ce n'est pas de votre faute. Tout le monde peut contracter le VIH. En suivant bien votre traitement, vous pouvez mener une vie saine. Le VIH n'est qu'un virus, ce n'est pas une maladie. D’ailleurs, dans ce centre, nous ne qualifions pas les personnes vivant avec le VIH de patients ou de malades, ce sont des usagers — sauf bien sûr si la personne ne suit pas son traitement et tombe malade — mais avoir le VIH, ce n'est pas une maladie. Vous pouvez mener une vie positive. Vous pouvez réaliser vos projets. Vous pouvez avoir des enfants qui seront séronégatifs, bien sûr. Vous pouvez retrouver une espérance de vie normale. Vous pouvez réaliser vos rêves ».

 

 

Quelques heures plus tard, dans l’avion qui nous ramène à Paris, je repense à toutes ces rencontres si inspirantes cette semaine à Kampala : Kuraish, Ruth, Léticia, Kennedy, Isaac, Brian, Felix et les rires des jeunes garçons en train de se dessiner... Ils-elles ont tous-tes un point commun : une combativité et une résilience qui forcent le respect.

 

L’étude Rise
L'étude Rise est co-pilotée par AIDES, amfAR, Coalition PLUS et le O'Neill Institute. Elle vise à mesurer et à évaluer l'inclusion des communautés infectées et touchées par les trois maladies (sida, tuberculose et paludisme) dans les instances de coordination nationale (CCM) du Fonds mondial. L'étude a lancé la phase quantitative de sa collecte de données le 9 mai 2023 à travers des questionnaires en ligne. Près de 800 réponses ont déjà été reçues. Cette phase se termine en septembre. En parallèle, la phase qualitative a été lancée début août. Cette seconde phase consiste en des entretiens individuels avec des membres représentant les communautés ou impliqués au sein des CCM. Pour soutenir le lancement avec des entretiens en direct, une mission sur le terrain dans l'un des pays représentés au sein du comité de pilotage, en l'occurrence l'Ouganda, était organisée du 7 au 11 août. Les résultats de l’étude seront présentés en décembre 2023.

 

Uganda Young Positives
Uganda Young Positives (UYP) est une organisation non gouvernementale créée en 2003 qui rassemble et mobilise des jeunes vivant avec le VIH en Ouganda de 10 à 24 ans. La mission de UYP est de promouvoir la qualité de vie des jeunes vivant avec le VIH et de réduire le taux de prévalence du VIH parmi les jeunes. Les personnes mobilisées par UYP transmettent des messages de prévention contre le VIH et luttent contre la stigmatisation et la discrimination des jeunes vivant avec le VIH. L'UYP forme également des éducateurs-rices pairs-es dans les écoles, qui transmettent des messages aux jeunes vivant avec le VIH.

 

Résilience communautaire par Serge Douomong Yotta
De retour de cette mission en Ouganda, Serge Douomong Yotta, le directeur du plaidoyer chez Coalition PLUS, a publié un message sur sa page Linkedin : « Très peu de mots pour décrire cette mission éclair en Ouganda. La résilience communautaire a quelque chose d’éminemment sacrée. Je me demandais comment les minorités sexuelles et de genre trouvent-elles l’énergie pour juste vivre dans un contexte où il leur est interdit d’exister. Avec mes chaleureux collègues Alana R. Sharp, Léo Deniau, Fred Lebreton, nous avons eu l’immense honneur de partager en quelques heures, en quelques rires, en quelques stupeurs, des moments précieux avec quelques activistes braves, joyeux, déterminés et révolutionnaires. Leur courage donne de l’énergie, leur détermination, leurs astuces militantes, leur recul, leur positionnement dans un monde où les maux des uns deviennent les mots des autres me donnent à croire fermement que jamais la flamme de la justice ne s’éteindra… ».

 

VIH en Ouganda
D’après les dernières données de l’Onusida, au 31 décembre 2021, 1,4 million de personnes vivaient avec le VIH en Ouganda. Parmi ces personnes,  une majorité de jeunes filles/femmes âgées de 15 ans et plus (860 000 contre 500 000 hommes) et 80 000 enfants de moins de 15 ans. La prévalence du VIH dans la population générale est de 5,5 %, mais cette prévalence monte à 7,4 % chez les femmes et 13 % dans les populations clés (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, personnes trans, travailleurs-ses du sexe et consommateurs-rices de drogue par voie injectable). En 2021, 17 000 personnes vivant avec le VIH sont décédées d’une maladie liée au sida dont 3 800 enfants de moins de 15 ans. Au total, 54 000 personnes ont découvert leur séropositivité en 2021 dans le pays, dont une majorité de jeunes filles/femmes âgées entre 15 ans et 24 ans. En ce qui concerne la cascade des trois 95 fixés par l’Onusida, l’Ouganda est en retard sur le premier objectif. En effet, seules 81 % des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) connaissent leur séropositivité. Le second objectif est atteint puisque 96 % des PVVIH qui connaissent leur statut sont sous traitement antirétroviral. Enfin, le pays a presque atteint le troisième 95 avec 92 % des PVVIH sous traitement qui ont une charge virale indétectable. Des efforts sont donc en cours pour améliorer l’accès au dépistage afin de mettre en place la stratégie préconisée par l’OMS : Test and treat (dépister et traiter).