Du jour au lendemain, paf, plus rien !

Publié par Greg le 21.04.2021
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D’une grande force, factuel, sincère et courageux, un témoignage qui fait réfléchir.

Il y a un an, la crise sanitaire commençait. Et pour moi, le début d’une longue, très longue année.

Un peu de contexte : je suis informaticien indépendant. Le client pour lequel je travaillais ne se situe pas dans ma ville. La magie d’Internet : mon chef était dans un autre pays, mes collègues aux quatre coins de la France. Je suis aussi chemsexeur. À ce moment-là, un chemsexeur heureux, qui gère ses consos (enfin, des dérapages aussi, mais qui font partie de moi, et qui, en vrai, me plaisent). Étant un hyper social, j’ai toujours compensé cette absence de relations humaines au travail par une vie sociale développée. Militer dans une association incroyable par exemple, mais aussi fréquenter des bars, des restaurants et faire d’autres activités.

Du jour au lendemain, paf, plus rien ! Et je savais pertinemment que cela n’était pas pour deux semaines, ni pour deux mois. J’ai quand même eu la chance de me confiner avec un garçon, un crush, et même si ça n’a pas marché, le confinement aurait été pire sans lui.

Et la vie a, soit disant, repris. On regardait son voisin comme un potentiel « tueur », à grand renfort de chaînes d’informations anxiogènes et d’injonctions diverses et variées sur les réseaux sociaux (voire dans notre association…), mais bon, la paille et la poutre ; tout le monde disait ce qu’il fallait faire sans évidemment l’appliquer à soi. Ahhh, cette chère congruence.

En réalité, c’était une semi-vie. La fermeture des boîtes, par exemple. Elle se comprend, bien sûr, mais elle a entraîné un piège : pour beaucoup d’entre nous, 2 heures du matin (l’heure de fermeture des bars dans ma ville), c’est trop tôt. D’habitude donc, on va en boîte, ou dans un bar de nuit. Et à 5-6 heures, on réévalue la question : « J’ai envie de continuer ou de dormir ? » Personnellement, la fatigue et l’alcool me font dire à cette heure-là que ça suffit en général. Cette année, à deux heures, on finissait dans un appartement. Et terminée cette réévaluation de la situation vers 5-6 heures, puisqu’un appart ne ferme pas.  Et les drogues aidant, paf, nous voilà 24 heures plus tard, voire plus. C’est d’ailleurs à ce moment-là où j’ai senti que ma conso, sans être problématique, devenait à surveiller, et que j’ai demandé à rencontrer un-e addicto. Sauf que je suis loin d’être le seul. Que les « passe-droits » que je pouvais avoir par AIDES ne me permettaient que de voir deux personnes, certes probablement parmi les meilleures de France sur le sujet, mais avec lesquelles je travaille aussi. Alors, pas grave, on serre les dents, et on attend un rendez-vous. Je me contenterais de la psy que j’avais, pour qui : « la consommation de drogue est une pulsion de mort ».

Ah oui. Que je vous explique un truc : je suis de ces gens qui aiment le stress. Qui aiment les choses un peu compliquées parfois, quitte à ce que ça soit un peu lourd pour moi. Comme beaucoup de personnes, j’ai aussi mes soupapes de décompression. Notamment les festivals, mais surtout les ferias, je n’en ai loupé aucune depuis mes 16 ans (non, pas la corrida, mais le reste autour). Cinq jours de ferias me font évacuer tout le stress de l’année ! Bon, évidemment, un million de personnes plus collées que dans un RER à 8 heures du matin, qui ne sont là que pour faire la fête, ce n’est pas « productif » et donc c’est interdit. Pas grave, je me dis que je tiendrais jusqu’à mon unique autre autre soupape : le ski. Quelques jours en haut d’une montagne, devant des étendues immaculées, le tout avec le plaisir de la descente, juste en l'écrivant, j’en ai des frissons.

Et un nouveau confinement est arrivé. Et là, vraiment, le début des emmerdes pour moi. Même si beaucoup ont moyennement respecté ce confinement, une réelle réduction des cercles sociaux a eu lieu, en tout cas autour de moi, mais de ce que j’ai pu lire, c’est assez général. Étant entouré quasiment que de couples, dont certains avec enfants, je n’étais plus forcément trop invité aux divers dîners à cercle très restreint. Je ne jette pas la pierre à mes amis-es, qui sont les meilleurs-es dont on puisse rêver, mais nos vies sont très différentes, et je comprends largement que s'il faut sélectionner, je ne sois pas le premier choix. Et me voilà seul toute la journée ; et seul le soir. Alors oui, j’ai bien vu quelques connaissances, mais ça ne vaut pas un-e ami-e. La seule amie célibataire proche que j’aie, a une consommation de cocaïne assez héroïque ; et donc j’ai essayé, quand même, de ne pas trop la voir pour éviter les tentations.

Alors que faire ? Culture de transgression, on a qu’à mélanger drogues et Grindr. Et voilà comment je suis passé à une vie de week-end avec des relations sociales (et sexuelles) peu enrichissantes et une vie de semaine à me coucher tôt pour réussir, tenir mon boulot solitaire et mon militantisme en visio. Je sais ce que vous pensez à cet instant précis, j’aurais pu lever le pied sur l'associatif, mais non, cela fait partie justement des choses qui me donnent envie de me lever le matin. Et voilà comment tromper la solitude. Schéma largement classique et connu. Le plus drôle, c’est que je travaille énormément sur le chemsex, donc ce schéma je le connais par cœur, je l’ai vu, lu et entendu des dizaines de fois, mais cela ne m’a pas empêché d’y plonger. La particularité ici, c’est que j’ai la chance de compter pourtant des dizaines de vrais-es amis-es. Et d’avoir été pourtant terriblement seul !

Et les mois ont passé comme ça. Je ne m’attendais pas à ce que le ski soit considéré comme un fléau pour l’humanité, mais soit. Que puis-je y faire de toute façon ? Oh bien sûr, j’ai quand même vu mes amis hein, et surtout tellement discuté avec eux par sms ou autres groupes messenger. Mais voir et toucher un humain, un auquel on tient réellement, et blaguer par écrit sur un groupe de 25 personnes n’a rien à voir. La bonne nouvelle, c’est que ça y est ! Janvier, enfin un rendez-vous avec une psy addicto géniale, pile, celle qu’il me faut.

Jusqu’à ce jour de février, où je me suis fait virer. Eh bah oui, en dépression la capacité de concentration n’est plus trop là ; la psy et les antidépresseurs sont arrivés trop tard... Et quand on a un job à responsabilité, qui plus est indépendant, sans possibilité d’arrêt maladie, la dépression et la surconsommation de produits ne sont pas permises. Je dis surconsommation, mais cela allait encore à peu près. Juste que je n’avais pas envie de me lever. J’arrivais devant mon ordi et je pouvais fixer l’écran sans trop rien faire. Comment gérer la qualité d’un projet, qui n’avait que peu le droit à l’erreur, dans ces conditions ? Et puis la fuite. Quinze ans que je travaille. Des hauts et des bas, j’en ai eu. Des clients avec qui ça l’a pas fait, j’en ai eu aussi. Une boîte en redressement, un burn-out, been there, done that... En revanche, c’est la première fois où j’ai le boulot de mes rêves, avec le meilleur chef qui soit, et que je me plante parce que je n’arrivais plus à travailler. En temps normal, j’aurais été entouré de plein de gens, on m’aurait traîné dans deux ou trois bars pendant plusieurs soirées, fait boire, dire des conneries plus grosses que moi parce que j’en avais besoin, mais aussi être là, peut-être une nuit ou deux, pas parce que j’aurais risqué de faire une connerie, c’est pas mon style, mais juste pour ne pas me laisser seul ; par amitié, par solidarité. Ne croyez pas que ce que je vous raconte est un fantasme, c’est juste ce que des amis ont fait pour moi y a cinq-six ans, quand un mec dont j’étais fou amoureux m’a quitté.

Cette fois-ci, j’ai un ami qui a bu un café avec moi. Voilà. Enfin non, il y a eu Pierre, que je ne connaissais que par les quelques messages que nous avions échangés et qui passait dans ma ville ce soir là. Il a passé la nuit avec moi. Pas à m’écouter pleurer ou à baiser, juste me faire passer une bonne soirée entre amis. Oh, ne croyez pas que mes amis sont devenus des connards, ce sont toujours les mêmes ! Mais, entre ceux qui ont des gamins et ceux qui vont mal, avec en plus les liens qui se sont distendus, qui a envie de braver un couvre-feu, de risquer 135 euros d’amende ? Ça use d’être continuellement un hors-la-loi, en tant que consommateur de produits, j’en ai l’expérience… Et d’ailleurs, pour aller dans quel bar ? Ça paraît con, mais ce n’est pas tout à fait la même soirée d’être à deux dans un appart ou boire des coups dans ce bar où je connais tout le monde et où le patron ferait des blagues et me rincerait pour me changer les idées. Donc la fuite. Drogue, drogue et encore drogue, pendant un ou deux mois. Au point de plus vraiment lire ou répondre à mes mails associatifs, pourtant le dernier truc positif qui me restait. Oublier ce que voulait dire être en forme, puisque j’avais oublié ce que voulait dire être fatigué.

Et nous voilà, il y a deux semaines. Mon meilleur ami et son mec m’invitent chez eux, dans un autre coin de la France, pour me changer les idées, et parce que j’ai beaucoup d’amis là-bas aussi. Changer les idées est le terme. J’ai vécu en deux semaines autant de moments sociaux qualitatifs que j’en ai vécus chez moi en trois-quatre mois. Je n’ai pas pensé non plus à prendre des prods pendant deux semaines. Eh oui, des années que je consomme sans perte de contrôle, même avec des périodes difficiles... sauf quand la société n’a plus aucun sens. Quand je suis seul tout le temps. Quand plus personne ne se parle, ne se touche, ne se sourit.