Résistances !

Publié par jfl-seronet le 30.04.2019
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« La douleur part, mais l’humiliation reste ». Cette phrase, Julia, jeune femme trans, l’a dite dans son témoignage au HuffPost (3 avril). Elle y revenait sur l’agression transphobe qu’elle a subie à Paris, place de la République, quelques jours plus tôt.

Le 31 mars dernier, Julia va pour prendre le métro à République. Elle se retrouve prise à partie par plusieurs hommes qui participent à une manifestation. Elle est agressée verbalement et physiquement. Son agression est filmée au portable et va se trouver rapidement diffusée sur les réseaux sociaux. Le 2 avril, cette vidéo a déjà été visionnée plus de 350 000 fois. Elle marque par sa violence et soulève une vague de réactions de citoyens-nes et de personnalités politiques dont la maire de Paris, Anne Hidalgo. « Les coupables de cet acte intolérable doivent être identifiés et poursuivis », affirme l’édile sur Twitter, se disant « indignée » ; d’autres élus-es de Paris ont également réagi.

Des agents de la RATP viennent au secours de Julia et l’exflitrent, raconte le HuffPost. Mais eux-mêmes sont loin d’être exemplaires puisqu’ils reprochent à Julia sa tenue : « Il ne faut pas vous habiller comme ça, Monsieur ! » « Je suis transgenre, cela perturbe les gens. Cette attaque m’a d’autant plus choquée que c’est très récent pour moi, explique-t-elle au site d’infos. Cela ne fait que cinq mois que j’ai commencé ma transition et que je prends des hormones. J’avais réussi à avoir confiance en moi. Et voilà, ils ont tout détruit ».

La sécrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, réagit également, jugeant cette agression transphobe « inadmissible ». « Les LGBT+phobies ne sont pas des opinions, mais de la bêtise et de la haine. Elles agressent et tuent », poursuit-elle. Le nombre d'agressions à caractère transphobe a fait un bond de 54 % en 2017 avec 186 signalements recueillis cette année-là, selon le rapport annuel 2018 de l'association SOS Homophobie.

De son côté, le parquet de Paris ouvre une enquête pour « violences commises à raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre », précise une source judiciaire, ajoutant qu'une personne a été placée en garde à vue avant d'être relâchée, indique l’AFP. Cette affaire est devenue si emblématique de la transphobie au quotidien que Libération y consacre sa une et un dossier spécial le 3 avril. La journaliste Anäis Moran y brosse un portrait de la jeune femme agressée. Un portrait qui frappe par le courage de Julia qui affirme « sortir de cette expérience, la tête haute » et qui revient sur les nombreuses interviews qu’accorde Julia, depuis son agression. « Si je fais ce marathon médiatique, c’est avant tout pour visibiliser les actes transphobes, explique-t-elle à Libération. Et pour montrer à ces ignorants que je sortirai de cette expérience la tête haute. » Évoquant ses agresseurs, elle explique : « Ils sont convaincus que je suis sortie habillée en fille pour provoquer, que j’ai choisi d’être différente. Alors que j’essaie simplement d’être moi-même (…) Mi-février, j’avais décidé de faire le grand saut et de sortir dans la rue habillée en femme, maquillée, avec des bijoux. J’ai commencé l’hormonothérapie depuis l’automne, mais je n’osais pas quitter mes vêtements d’homme, j’avais trop peur du jugement des autres (…) Dès les premières semaines, j’ai eu le droit à des insultes, « tapette », « PD ». L’agression de dimanche est la plus grave, il y en aura peut-être d’autres. Mais je préfère m’assumer pleinement, quitte à vivre dangereusement. Aujourd’hui, j’ai la force de dire : « je vous emmerde ». Abattue à la suite de son agression, la jeune femme explique donc qu’elle entre en résistance.

Brunei sur la pente dangereuse

Résister, il n’y a pas trop le choix tant les LGBTphobies (dans leur ensemble) s’installent dans nos vies et dans de nombreux champs. On le voit à l’international comme sur les terrains de sport, dans la vie, courant comme sur les réseaux sociaux. Du côté des commentateurs-trices, on explique que c’est pour renforcer son poids politique et au motif de la défense de l’islam que le sultan de Brunei a décidé de mettre en œuvre la charia dans son pays. Fin mars, le sultanat annonce l’entrée en vigueur d’un nouveau code pénal le 3 avril 2019 qui prévoit des châtiments corporels et la peine de mort pour des incriminations notamment d’homosexualité, d’apostasie, de blasphème et d’adultère. Rapidement, cette annonce suscite polémique, critiques, appels au boycott et réactions diplomatiques. Ainsi, le 2 avril, la France appelle Brunei à renoncer à la lapidation des homosexuels-les et des personnes « coupables » d’adultère. Cette législation est « contraire aux engagements internationaux » pris par cet État en matière de droits de l’Homme, souligne la diplomatie française, citée par l’AFP. « La France appelle le Brunei à renoncer à ce projet et à maintenir son moratoire de fait des exécutions capitales depuis 1957 », indique d’ailleurs Agnès von der Mühll,  porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, dans un communiqué. Outre la lapidation pour l’homosexualité et l’adultère, la nouvelle loi prévoit aussi l’amputation d’une main ou d’un pied pour vol. La Haut Commissaire aux droits de l’Homme de l’Onu, Michelle Bachelet, dénonce, de son côté, les « peines cruelles et inhumaines » ainsi prévues et demande également l’annulation de ces dispositions ; même condamnation de la part de la maire de Paris, Anne Hidalgo.

Les appels au boycott viennent, eux, de l’acteur américain George Clooney et du chanteur britannique Elton John. Ce boycott ne concerne pas tant le pays lui-même que les neuf hôtels de luxe répartis dans le monde liés au sultan de Brunei, dont le Plaza Athénée et le Meurice à Paris. « Chaque fois que vous séjournez dans l’un de ces neuf hôtels, ou que vous y organisez une réunion ou que vous y dînez, vous mettez directement de l’argent dans la poche des personnes qui choisissent de lapider et fouetter leurs propres citoyens », a d’ailleurs expliqué George Clooney dans un message largement relayé sur les réseaux sociaux.

Des réactions diplomatiques, on en compte aussi aux États-Unis. Les autorités américaines soulignent que l'introduction de cette législation est contraire « aux obligations internationales » de Brunei « vis-à-vis des droits de l'Homme ». Phil Robertson, directeur adjoint de l'ONG Human rights watch, estime que le texte est « barbare dans son essence » et « impose des punitions archaïques pour des actes qui ne devraient même pas être considérés comme des crimes ».

En France, une trentaine d’intellectuels-les, d’artistes et de personnalités (1) se sont associées, à l’initiative du philosophe Daniel Salvatore Schiffer, autour d’une pétition : «  Non à la peine de mort pour homosexualité et adultère à Brunei ! ». Dans leur texte, publié le 2 avril sur Le Figaro, ils et elles écrivent : « Une nouvelle et grave atteinte aux droits humains frappe aujourd’hui Brunei, petite mais riche monarchie pétrolière d’Asie du sud-est : la peine de mort par lapidation ou à coups de fouet, pour les homosexuels-les et les « coupables » d’adultère. Ce châtiment venu d’un autre âge, particulièrement barbare et rétrograde, vient d’être officiellement promu, au prétexte de la loi coranique - la charia - par l’actuel sultan du pays, Hassanal Bolkiah ». Cette initiative fait partie d’un ensemble de réactions critiques contre la décision de Brunei… un acte de résistance.

Il va y avoir du sport !

On compte plus désormais les propos homophobes et racistes lors des matches de foot. Récemment, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a largement commenté et dénoncé le climat d’une rencontre (OM contre PSG) à laquelle elle a assisté, rencontre émaillée de propos homophobes dans les tribunes. Début avril, la ministre a fait savoir lors d’une interview sur RMC Sport News qu'elle était favorable à l'interruption des rencontres en cas d'insultes homophobes dans les tribunes. Ce qui constituerait un tournant. L’ancienne championne a réaffirmé sa volonté de combattre l'homophobie dans les stades en préconisant donc cette mesure phare : l'interruption des rencontres par le corps arbitral lorsque des incidents surviennent. « La Fifa [Fédération internationale de football, ndlr] peut arrêter un match quand elle entend un chant raciste. Elle peut arrêter un match lorsqu'elle entend une insulte homophobe. Pourquoi ne pourrait-elle pas le faire ? » Roxana Maracineanu a aussi réagi lors de cette interview aux propos de Noël Le Graët interrogé sur le sujet dans les colonnes du Figaro, les jugeant « contradictoires ». Le patron de la Fédération française de football s’estt étonné qu’on pointe du doigt une nouvelle fois le football alors que les fléaux de la violence et de l'homophobie gangrènent la société dans sa globalité. « Aujourd'hui il y a trop d'insultes, c'est vrai alors qu'il n'y a quasiment plus de casse dans les stades. Le sport est aussi plus fort que beaucoup d'événements. Je veux bien qu'on le critique. Mais vous croyez que c'est mieux dans la vie, la rue, les cours d'école ? Regardons aussi ce qu'il se passe depuis quatre mois en France (référence aux « gilets jaunes »). Je ne suis pas certain que le football ait beaucoup de leçons à recevoir », avait expliqué le dirigeant. Évidemment, si c’est pire ailleurs, il n’y a aucune raison de faire le ménage dans le foot. Super argument !

Avec ce type de vision, on pourrait se dire qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter des propos homophobes du footballeur Patrice Evra après la défaite des Parisiens contre son ancien club de Manchester United en Ligue des champions, puisque les propos homophobes existent partout ailleurs. Pourtant, on ne peut que se féliciter que Patrice Evra soit visé par une enquête pour « injures homophobes » après ses commentaires suite au match PSG-Manchester United. Le parquet de Paris a, en effet, ouvert une enquête pour « injures à caractère homophobe ». Cette enquête, confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) de la police judiciaire parisienne, a été ouverte à la suite d'une plainte déposée par deux associations Mousse et Stop Homophobie, soutenues par le collectif Rouge Direct qui réunit les anciens du Paris Foot Gay, ex-club amateur de la capitale. Là encore, un acte de résistance.

Ancien défenseur et capitaine de Manchester United, Patrice Evra s'était déchaîné sur les réseaux sociaux après la victoire de Manchester contre le PSG, rapporte l’AFP. Il avait notamment invectivé l'ancien joueur parisien Jérôme Rothen (qui a porté plainte contre Evra) et lancé dans une vidéo sur SnapChat : « Paris, vous êtes des pédés ... ici c'est les hommes qui parlent ». Le footballeur, habitué des insultes dans les médias ou les réseaux sociaux, avait ensuite posté un nouveau message pour s'excuser, assurant ne pas être homophobe. Ouf, c’est vrai qu’on aurait pu se méprendre…

Un motif d’encouragement… à Chicago

Dans ce torrent de boue homophobe qui nous invite vraiment à résister, on trouvera dans l’actualité récente un motif de satisfaction. Le 3 avril dernier, les habitants-es de Chicago ont élu une femme noire et ouvertement homosexuelle à la tête de leur ville ; une première historique dans cette cité marquée par les inégalités sociales et la violence due aux armes à feu. La nouvelle maire de Chicago s’appelle Lori Lightfoot. Elle a 56 ans. Cette ancienne procureure fédérale qui a notamment dirigé une commission de surveillance des activités de la police, l'a largement emporté face à Toni Preckwinkle, démocrate et Afro-Américaine comme elle. Lori Lightfoot a obtenu 74 % des voix, rapporte l’AFP. Elle a fait campagne avec un programme progressiste, promettant notamment de réduire les inégalités sociales et raciales. Lori Lightfoot devient aussi la première personnalité politique ouvertement homosexuelle à diriger cette ville de 2,7 millions d'habitants-es, la troisième du pays, marquée par la défiance entre police et minorités, les inégalités profondes entre quartiers et une criminalité importante. C’est un signe qui ne compense pas toutes les agressions LGBTphobes… mais qui réconforte malgré tout car il montre aussi que des groupes de citoyens-nes résistent à l’homophobie ambiante. C’est bon de le savoir !

(1) : Daniel Salvatore Schiffer, Elisabeth Badinter, Robert Badinter, Stéphane Barsacq, André Comte-Sponville, Jacques De Decker, Luc Ferry, Marek Halter, Daniel Mesguich, Maryam Namazie, Eric Naulleau, Orlan, Jean-Marie Rouart, Elisabeth Roudinesco,  Eric-Emmanuel Schmitt, Pierre-André Taguieff, Michel Wieviorka, Jean-Claude Zylberstein, etc.