AME : bien sous tous rapports ?

Publié par Sophie-seronet le 13.10.2023
2 015 lectures
Notez l'article : 
1
 
0
Droit et socialAMEaide médicale d'état

Les discussions parlementaires à venir sur l’asile et l’immigration vont remettre sur le devant de la scène l’éternel débat sur le maintien de l’AME (aide médicale de l'État) dans son périmètre actuel. Cette question fait débat au sein même du gouvernement puisque Gérald Darmanin défend sa suppression au profit d’une « aide médicale d’urgence », forcément plus restrictive. De son côté, Matignon a commandé un nouveau rapport à deux experts.

Invitée dimanche 8 octobre de BFM politique, la Première ministre se veut « confiante » pour trouver une majorité sur le projet de loi Asile et immigration, dont l’examen démarrera en novembre prochain au Sénat. Une « confiance » que ne partage pas une bonne partie de la société civile, pas tant sur le fait d’avoir une majorité que sur la nouvelle attaque en règle qui se profile contre l’Aide médicale d’État (AME), à l’occasion des discussions sur ce texte. Le 8 octobre, Élisabeth Borne a donc annoncé le lancement d’une « mission » sur l’AME. « Nous allons confier une mission à deux personnalités, Patrick Stefanini et Claude Evin, pour nous aider à faire le point sur ce dispositif et à voir, si le cas échéant, des adaptations sont nécessaires », a expliqué la cheffe du gouvernement.

Ancien directeur de la campagne présidentielle de Valérie Pécresse, haut fonctionnaire, figure des Républicains, Patrick Stefanini défend une ligne radicale contre l’immigration. En témoigne son dernier ouvrage Immigration : ces réalités qu'on nous cache (Éditions Robert Laffont). L'auteur y affirme que dans un contexte de chômage de masse et de montée de la pauvreté, la France n'a plus les moyens de maintenir sa politique migratoire actuelle. Il soutient que la nature et l'ampleur de l'immigration ont augmenté ces vingt dernières années, plaide pour fermer davantage les frontières et exige l'assimilation des nouveaux-elles arrivants-es. Cet ouvrage comprend d’ailleurs un plaidoyer contre l’AME. Extrait : « C’est bien pourtant ce qu’il faudrait faire en prenant exemple sur nos voisins européens et en réduisant le champ de l’AME aux seules urgences et aux maladies contagieuses. La Covid-19 est venue rappeler à la société française ce qu’était le risque pandémique ou encore ce qu’était une vraie urgence médicale et les clandestins doivent évidemment pouvoir être soignés gratuitement contre les épidémies ou en cas d’urgence vitale. Mais ils ne devraient pas accéder gratuitement aux autres soins. D’abord pour des raisons budgétaires. On affirme souvent que le coût de l’AME serait faible par rapport au total des dépenses d’assurance maladie (0,5 %), mais c’est oublier que ces dépenses sont couvertes par les cotisations des assurés, ce qui n’est pas le cas de l’AME, et que les sommes consacrées à l’AME depuis vingt ans auraient été bien utiles à l’hôpital public français si l’on en juge par l’état dans lequel il se trouvait lors de la crise de la Covid-19. La circonstance qu’une faible partie seulement des clandestins aurait aujourd’hui recours à l’AME suffit à démontrer que le risque d’une dérive budgétaire beaucoup plus grave encore est devant nous. Ensuite pour une raison de principe: le destin des clandestins est d’être reconduits le plus rapidement possible à la frontière et non pas d’être soignés durablement en France, et la forte augmentation du coût de l’AME est le reflet de l’incapacité de notre pays à lutter efficacement contre l’immigration clandestine ».

Cet extrait donne le ton de ce que cette personnalité (qui a contribué à créer le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale) devrait émettre comme propositions « d’adaptations » de l’AME. L’autre personnalité retenue est Claude Evin, plusieurs fois ministre (de la Santé en 1988, de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale entre 1989 et 1990, des Affaires sociales et de la Solidarité de 1990 à 1991), longtemps élu socialiste. On imagine que dans l’esprit du gouvernement, le choix de ces deux personnalités (droite et gauche, discours radical contre l’immigration versus fibre sociale) est censé représenter l’équilibre entre rigueur et humanité ». D’autant que la première ministre a expliqué que « le choix du gouvernement résultera bien sûr des conclusions de cette mission ». L’initiative gouvernementale est assez surprenante car on voit mal ce que ce rapport apportera de nouveau : tous les éléments du débat sont connus depuis des années et on ne compte plus les rapports officiels à ce sujet.

De son côté, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, se montre impatient et peu enclin à attendre le rapport des deux « experts ». Interviewé par le Parisien (7 octobre), le ministre qui porte le texte sur l’immigration s’est dit favorable à une restriction de l’AME en reprenant la position de la droite et de l’extrême droite : transformer l’actuelle AME en simple « aide médicale d’urgence ». « C’est un bon compromis qui allie fermeté et humanité, et je le dirai sur le banc du Sénat », a d’ailleurs précisé le ministre lors de la présentation du projet de loi sur l’immigration. Depuis le printemps dernier, Gérald Darmanin manœuvre pour casser l’AME, il en escompte un soutien des parlementaires de droite permettant le vote du texte. C’est du moins le pari qu’il fait. De son côté, Élisabeth Borne explique désormais que son ministre « exprime une position personnelle », tout en affirmant qu’il est « légitime de réinterroger régulièrement ce service public ». Ça promet !

On attendait la réaction du ministère de la Santé et de la Prévention, elle est venue le 10 octobre de l’entourage du ministre Aurélien Rousseau qui s’est dit opposé à la suppression de l’AME au profit d’un autre système. Cette position est constante depuis des années. On l’a entendue avec Agnès Buzyn ou plus récemment avec François Braun, le prédécesseur d’Aurélien Rousseau. Interviewé sur France Info (10 octobre), le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, a rappelé que l’AME avait déjà été modifiée, il y a deux ans et que le « système actuel était équilibré ». Il conteste par ailleurs que l’AME constitue un « appel d’air » et a expliqué avoir un « vrai désaccord avec Gérald Darmanin, à ce sujet », sans pouvoir expliquer quelle était la position du gouvernement. Il faudra donc attendre la sortie du rapport commandé par Matignon. À suivre.

 

Qu'est-ce que l'AME ?
L'aide médicale de l'État (AME) est un dispositif permettant aux étrangers-ères en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins. Elle est attribuée sous conditions de résidence et de ressources, à l’exception des mineurs-es, qui en bénéficient sans délai et sans avoir besoin d’être sur le territoire depuis trois mois. Pour la demander, un dossier est à remplir. Une fois attribuée, l'aide médicale de l'État est accordée pour un an. Le renouvellement doit être demandé chaque année. L'aide médicale de l'État n'est pas applicable à Mayotte.