Racolage public : Abroger pour protéger les prostitués

Publié par Mathieu Brancourt le 19.03.2013
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Abroger la loi sur le délit de racolage public. C'est ce que sont venus demander travailleur-se-s du sexe et associations de santé, rassemblés, samedi 14 mars, à Pigalle. Une piqûre de rappel, dix ans tout juste après la naissance de cet arsenal répressif.

Les travailleuses et travailleurs du sexe se sont donnés rendez-vous samedi 16 mars place Pigalle pour réclamer l'abrogation du délit de racolage passif

Maîtresse Gilda, porte-parole du Syndicat du travail du sexe (STRASS)

Une dangereuse mise à l'amende. Dix ans après l'instauration du délit de racolage passif (dans le cadre de la loi de sécurité intérieure ou LSI, ndlr), les personnes regroupées samedi dernier autour de la fontaine de la place Pigalle ne décolèrent pas. Talons hauts et bas nylon, près de 200 travailleur-se-s du sexe sont venus demander l'abrogation de la loi pour les prostitués. Cette loi, initiée le Nicolas Sarkozy ministre de l'Intérieur, permet de verbaliser ainsi toute personne proposant ses services sexuels sur la voie publique. Dès lors, les travailleurs et travailleuses du sexe doivent se cacher, s'isoler de plus en plus pour pouvoir exercer.

Une loi qui rend malade

Médecins du monde, bus et bénévoles venus en nombre, affiche leur solidarité. L'association réclame la fin d'une législation qui nuit considérablement à leurs actions et au quotidien des personnes : "Nous dénonçons aujourd'hui une loi qui fragilise et empêche les prostitués de prendre soin de leur santé", explique Tim Leicester, animateur de prévention du Lotus Bus (auteur d'une mission d'enquête pour le rapport "Un harcèlement institutionnalisé : les prostituées chinoises et le délit de racolage public" du Syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l'Homme, ndlr), qui maraude régulièrement auprès des travailleuses du sexe. Le constat est pour lui sans appel : "Avec le harcèlement quotidien de la police, elles sont poussées dans une zone de non-droit. Dès lors, elles se retrouvent loin des structures, prennent moins soin d'elles et sont contraintes de réduire le temps de négociation du préservatif avec les clients", déplore ce dernier. Pour AIDES, il faut également abroger cette disposition qui résonne comme une double peine : "cette loi est inefficace, elle n'a pas protégé les filles contre les réseaux, ni fait baisser le nombre de travailleuses du sexe dans les rues. Au contraire, elle les a isolées, clandestinisées, avec une hausse des violences à leur encontre et davantage de vulnérabilité face à l'épidémie de VIH", martèle Fred Baldou, en charge des questions de prostitution à l'association.

"A bout de souffle"

Précarité sociale et sanitaire ou répression policière, les doléances sont nombreuses. Maîtresse Gilda, porte-parole du Syndicat du travail du sexe (STRASS) confie sa lassitude de cette perpétuelle chasse aux putes : "c'est le règne de la police, avec son lot de harcèlements et d'arrestations arbitraires. En dix ans, nos conditions de travail n'ont fait que se dégrader. Nous sommes à bout de souffle". Alors que la politique abolitionniste, notamment sur la pénalisation du client, reste au cœur des débats, le combat pour les droits fondamentaux des prostitués passe déjà pour ces dernières par la fin de cette "répression" publique. L'abrogation de ce délit était une promesse du gouvernement, par l'intermédiaire de Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droit des femmes. "J'ai beau chercher dans cette manifestation les abolitionnistes qui déclarent vouloir abroger le racolage public, je ne les vois pas" raille la porte-parole du STRASS. En effet, seul un drapeau d'Osez le féminisme flotte dans les airs. Mais en s'approchant bien, on peut y lire un "pute" accolé au slogan. "Vouloir protéger les putes et défendre l'abolition de la prostitution, ça ne tient pas. Il est temps que l'hypocrisie cesse", ajoute encore Maîtresse Gilda.

L'abrogation : pour bientôt ?

Le 28 mars prochain, une décennie après la naissance de la LSI, le Sénat débattra d'une proposition de loi du groupe écologiste, demandant l'abrogation pure et simple du délit de racolage public. Pour sa rédactrice, Esther Benbassa, c'est un "triste anniversaire". Seule élue présente place Pigalle, la parlementaire aux cheveux rouges ne cache pas son aversion pour ce dispositif légal. "Il y a plus de filles pénalisées et cela ne permet pas de lutter efficacement contre les réseaux", assène la sénatrice du Val-de-Marne. "Il faut supprimer cette loi et voir ce qu'il faut faire pour ces filles". Elle plaide pour un texte général, légiférant sur la "sensibilisation, prévention et la réinsertion" des prostitués. En tant que professeure, elle tient  à s'atteler à la question de la prostitution étudiante. En attendant, le gouvernement a promis à la sénatrice de soutenir cette proposition durant les débats. Les acteurs associatifs saluent cette initiative d'abrogation, mais restent prudents. Tim Leicester voit plus loin et prévient : "Il ne s'agit pas seulement d'un texte, mais de toute une politique publique, qui fait aujourd'hui primer la répression et la morale sur des enjeux de santé publique et de respect des droits humains".