Canada : une femme séropositive poursuivie en justice pour une fellation !

Publié par jfl-seronet le 22.08.2013
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Droit et socialpénalisation

Des militants pour la lutte au VIH, des féministes et des experts en droit ont manifesté (8 juillet) devant la Cour de Barrie (Canada) pour "manifester contre la poursuite injuste à l’endroit d’une Ontarienne, JM, accusée d’un des crimes les  plus graves du Code criminel — agression sexuelle grave —pour des allégations de non-divulgation de sa séropositivité au VIH pendant un rapport sexuel comportant peu de risque de transmission de l’infection, voire aucun". Cette affaire a mobilisé le Réseau juridique canadien VIH/sida qui l’a dénoncée. Explications dans le communiqué du réseau.

Dans son communiqué, le Réseau juridique canadien VIH/sida dénonce une "chasse aux sorcières" qui serait conduite par des "procureurs de la couronne contre des personnes vivant avec le VIH" et qui, selon le Réseau, nécessite une "action du procureur général. "Cette affaire est vraiment regrettable", a estimé Jessica Whitbread, présidente mondiale de la Communauté internationale des femmes vivant avec le VIH/sida (ICW-NA). Elle explique que JM "risque d’être en prison plusieurs années pour avoir eu des rapports sexuels consensuels. Elle est accusée d’agression sexuelle grave, comme si elle avait fait usage de violence pour avoir cette relation sexuelle, et alors qu’elle n’avait aucune intention de causer de préjudice et qu’il n’y a pas eu transmission du VIH". Pour Jessica Whitbread : "La police, les procureurs de la Couronne et les tribunaux doivent reconnaître qu’un recours inapproprié au droit criminel ne protège aucunement les femmes : cela leur porte préjudice ; en particulier aux femmes qui vivent avec le VIH".

"Comme suite à un jugement rendu par la Cour suprême l’an dernier, la loi permet de déclarer une personne coupable d’un crime pour n’avoir pas dévoilé à quelqu’un sa séropositivité au VIH en présence d’une "possibilité réaliste" de transmission du VIH. Ce jugement a été critiqué par des  personnes vivant avec le VIH et par des militants de la lutte au sida, comme étant une interprétation beaucoup trop générale du critère établi, en étendant très largement le risque de poursuites criminelles et en faisant fi des limites du droit criminel déjà reconnues par des tribunaux d’instances inférieures à la lumière des preuves scientifiques. Le jugement de la Cour suprême laisse le droit en situation de flou quant à tous les actes sexuels sauf la pénétration vaginale. A présent, un procureur ontarien cherche à élargir encore la portée du droit criminel : l’une des accusations portées contre JM concerne uniquement des rapports sexuels oraux en dépit des preuves indiquant qu’il n’y a pratiquement aucun risque de transmission du VIH associé à cet acte allégué, et que tout risque minuscule est même atténué par le fait que la charge virale de JM était indétectable au moment des actes.

Autrement dit, la justice ontarienne pense devoir poursuivre une femme vivant avec le VIH dont la charge virale est indétectable et qui a pratiqué une fellation à son partenaire séronégatif sans avoir mentionné qu’elle était séropositive ! "Le fait même que cette accusation ait été déposée révèle le degré d’ignorance et le manque de discernement de la part du service de police en cause", souligne Richard Elliott, directeur général du Réseau juridique canadien VIH/sida, dans le communiqué du Réseau. "Et le fait que le procureur de la Couronne mandaté de cette affaire entame des poursuites, à l’encontre même des données scientifiques, est encore plus scandaleux. Ce procès démontre quels dégâts et quel degré d’injustice peuvent résulter de mauvaises lois mal interprétées par des procureurs au zèle excessif, dans un climat de désinformation, de stigmatisation et de préjugés", déplore Tim McCaskell, du groupe Aids action now ! "Le procureur général doit cesser la chasse aux sorcières qui sévit contre les personnes vivant avec le VIH. Il devrait développer des lignes directrices à l’intention des procureurs, pour favoriser un recours é quilibré et très limité, au droit  criminel. Il devrait impliquer dans ce travail des personnes vivant avec le VIH, des organismes communautaires ainsi que des experts en science et en droits de la personne".

Plus de 1 000 personnes ont appuyé le Groupe de travail ontarien sur le droit pénal et l’exposition au VIH (CLHE) et ont déjà exhorté le ministère du Procureur général à établir des lignes directrices en matière de poursuites concernant le VIH. L’an dernier, la Commission mondiale sur le VIH et le droit, une instance internationale indépendante, a recommandé de limiter le recours au droit criminel pour la non-divulgation de la séropositivité ou l’exposition au VIH. Tout récemment, l’ONUSIDA a publié un ouvrage détaillé de référence, à l’intention des gouvernements, sur l’encadrement limitatif approprié à effectuer quant à la portée de la criminalisation du VIH, afin de ne pas violer les droits de la personne et de ne pas nuire à la santé publique. On peut lire ce document ici.